01/02/2003 Texte

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Pourquoi Saddam Hussein refusera l’exil ?

Le départ volontaire de Saddam Hussein en exil aurait constitué un inestimable soulagement pour tous les acteurs directs et indirects de cette crise. Il aurait permis à Georges Bush de faire l’économie d’une guerre qui comporte un certain nombre d’incertitudes et épargné aux dirigeants arabes la double épreuve qui les guette : une démonstration d’impuissance face à la crise et le risque de tomber dans la foulée du Raïs irakien.

Car si la guerre s’enlise et si les Américains peinent à imposer leur dynamique, les régimes arabes seront confrontés à la colère des foules qui leur reprochera un silence coupable et une incapacité à réagir face à l’offensive contre un pays arabe et islamique. Ce n’est pas tant que les opinions publiques arabes soutiennent la cause de Saddam Hussein, mais parce qu’elles rejettent la politique américaine, coupable d’alignement systématique sur Israël et parce que l’armée américaine « impie » stationne sur le territoire sacré de la Péninsule, en violation du testament du Prophète.

Mais le profil psychologique du Raïs irakien ne lui permettra pas de contribuer au soulagement général de ses adversaires. Bien au contraire, il cherchera sans doute la confrontation avec Washington et ses alliés dans l’espoir de s’en sortir indemne, une fois de plus, et de sauvegarder son pouvoir. Car Saddam est prisonnier de son passé : n’avait-il pas traité le chah d’Iran – qui avait abandonné le pouvoir en 1978, quelques mois avant le débarquement de l’imam Khomeyni – de « lâche » et d’« incapable » ? Il ne va pas rééditer cette attitude « indigne » qu’il avait si fortement reprochée au chah ! Aussi, Saddam a toujours déclaré à ses généraux qu’il réservait, à sa propre tempe, la dernière balle de son revolver, quand il aura épuisé toutes ses munitions.

Et puis, faut-il oublier que le Raïs est obsédé par sa sécurité, qu’il voit des complots partout, qu’il a toujours personnellement veillé sur son dispositif de protection, ne déléguant des responsabilités infimes qu’à sa plus proche descendance, à commencer par ses deux fils ? Alors, comment, en cas d’exil, pourrait-il faire confiance à un Etat – quel qu’il soit – pour se charger de sa sécurité ? Comment pourrait-il accepter d’être confiné dans une résidence surveillée, d’être privé de moyens d’autodéfense, de devoir consommer les mets cuisinés par des inconnus, alors qu’en Irak il a des sosies, plusieurs palais et de multiples caches pour passer des nuits à l’improviste et que ses goûteurs le suivent, dégustant avant lui plats et boissons.

Bien au contraire, les derniers propos de Ronald Rumsfeld, relatifs à l’impunité de Saddam s’il acceptait l’exil, sont interprétés à Bagdad comme un aveu de faiblesse du secrétaire américain à la Défense qui cherche à reculer et à éviter une guerre qui s’avère trop coûteuse. Les dirigeants irakiens sont convaincus que ce geste survient à l’issue de trois événements : la rupture de la Corée du Nord avec l’AIEA ; les troubles au Venezuela qui ont débouché sur un embargo pétrolier de facto dû à l’arrêt des exportations ; et les manifestations contre la guerre qui se sont déroulées aussi bien aux Etats-Unis que dans les capitales occidentales.

Saddam est persuadé qu’il aura toujours la « baraka ». Depuis 1988 et sa victoire sur l’Iran de Khomeyni, il se voit comme l’héritier moderne de Saladin. Il menace les Américains, ces « Mongoles des temps modernes » d’une défaite sans appel devant les portes de Bagdad. Il oublie qu’il avait promis, en 1991, à la coalition internationale qui s’était formée pour chasser son armée du Koweït, «la mère de toutes les batailles» !

Pour toutes ces raisons, il semble que le Raïs Irakien – qui continue à privilégier la montre en acceptant les humiliantes inspections dans l’attente de la saison chaude et de la campagne présidentielle aux Etats-Unis – préfère au pire l’affrontement et la mort en « héros » que d’aller finir ses jours dans l’humiliation, à la merci de ses hôtes et avec la menace permanente d’une convocation devant le Tribunal pénal international.

En cas de conflit, nombre d’experts sont persuadés qu’il ne manquera pas, si l’occasion lui est offerte, de faire usage de ses obus chimiques et bactériologiques dont il ne disposerait pas de vecteurs adéquats pour les utiliser contre des pays lointains. Saddam est certain que son éventuelle disparition entraînerait celle de ses homologues arabes qui n’ont pas levé le petit doigt pour le soutenir. S’il était condamné à tomber, il aimerait tant les entraîner dans sa chute. Eu égard au peu de crédit qu’on doit attribuer à l’exil volontaire du président irakien, l’option du coup d’Etat à Bagdad reste la dernière alternative pour éviter cette guerre annoncée.

En tout état de cause, l’ancien « ordre politique arabe », issu de la décolonisation, aura vécu. Le nouvel ordre de l’après Saddam reste à inventer. Pourvu qu’il soit porteur de modernité, de paix et d’épanouissement pour les peuples de la région.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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