05/03/2003 Texte

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« Les trois stratégies médiatiques de Bagdad »

IRAK - Les trois stratégies médiatiques de Bagdad. Sur le terrain de la communication, Saddam Hussein ne désarme pas. Comme en 1991, la guerre du Golfe a commencé dans les médias avant de s'engager dans le désert mésopotamien. À l'époque, Saddam Hussein s'était d'ailleurs montré meilleur stratège dans ce domaine que sur le terrain politico-militaire en laissant notamment la télévision américaine retransmettre les bombardements sur les civils de Bagdad. Comme le Viet-Cong dans les années 1970, Saddam rêve-t-il de battre l'Amérique grâce aux médias ? " Cette fois, le dictateur irakien développe une tactique de survie en faisant traîner ses concessions pour renforcer la division du camp d'en face. Pour lui, il n'y a pas un seul discours. Il commence par nier puis par reconnaître, puis par céder au besoin en évaluant la détermination de l'adversaire. Il joue la montre face à un Bush obligé de passer à l'action avant la saison chaude et qui à l'automne prochain, avec la campagne présidentielle, donnera la priorité aux préoccupations économiques des Américains ", commente Antoine Basbous, directeur de l'observatoire des pays arabes. Saddam Hussein n'a pas une mais plusieurs stratégies de communication. Elles varient en fonction de l'actualité et surtout de la cible : garder la confiance du peuple irakien, accentuer les divisions en Occident, diaboliser l'Amérique aux yeux du monde arabe… Saddam Hussein joue trois partitions différentes, détaillées ci dessous.

1.Une chaîne unique sous contrôle : Comme tous les dictateurs, Saddam Hussein est à l'écran du matin au soir sur la télévision irakienne qu'il contrôle. C'est la seule chaîne accessible à la population puisque le satellite est interdit. Mais pour l'essentiel, sa stratégie, envers le peuple irakien selon Antoine Basbous, " c'est d 'exploiter l'actualité internationale pour leur donner l'impression qu'une grande partie du monde les soutient. Ainsi les manifestations pacifistes aux Etats-Unis et en Europe passent en boucle. La moindre banderole caricaturant Bush brandie par des Américains ou des Européens est montrée et remontrée. La parole est également donnée aux pacifistes européens de l'extrême droite ou d'extrême gauche avec un temps d 'antenne disproportionné par rapport à ce qu'ils représentent. Enfin Saddam Hussein mobilise les familles du parti Baas pour des défilés dans les grandes villes afin de donner l'impression que le pays est derrière Saddam ". La télévision retransmet également des réunions dans lesquelles les hauts dignitaires du régime lui montrent affection et soumission à leur président. Quant aux reportages sur le pays, ils montrent la reconstruction depuis la guerre pour montrer que ce pays résiste et résistera qu'il s'en sort et s'en sortira. Quant à Bush, il est présenté comme le fils qui veut venger son père de la défaite électorale de 1992.

2. Pour l'Occident, reporters encadrés et émissaires chrétiens : L'irak aime les caméras qui montrent les souffrances du peuple et les efforts de désarmement. Bagdad accorde des visas aux journalistes occidentaux en fonction du poids et de l'audience des médias. Sur le terrain, ils sont placés en liberté plus ou moins surveillée ce qui limite les visas à 300 pour le monde entier. (Des dizaines de visas sont donc bloqués dans les ambassades). Sur place, les reporters, dont la présence est facturée au prix fort, ne se déplacent qu'avec des agents des services irakiens. Ils peuvent néanmoins choisir eurs reportages, même si les dirigeants du parti Baas sont faciles à interviewer. L'accueil du peuple irakien envers les médias n'est pas du tout hostile ni vindicatif contrairement à 1991. Cependant, la stratégie de communication envers l'Occident se déploie aussi hors des frontières irakiennes. Selon Antoine Basbous, " Saddam est entouré de personnalités qui disposent de réseaux politiques et médiatiques dans tout les pays. Surtout, il met en avant les citoyens chrétiens d'Irak pour communiquer avec l'Europe. On voit par exemple Tarek Aziz, chrétien chaldéen, prier dans une église en Italie. Il tente ainsi de donner l'image d'un pays tolérant et pluriculturel en plus de la complainte du peuple qui souffre du fait du blocus. Par ce biais, il tente d'atténuer son image de dictateur et de faire passer Bush pour le barbare, le grand Moghol des temps modernes qui souhaite conquérir le pays et son pétrole ".

3. Un fidèle agressé aux yeux du monde musulman : Troisième volet de la stratégie de communication de Saddam Hussein: le "fidèle agressé". A destination de l'opinion publique des pays arabes, il reprend en partie des thèmes déjà développés en 1991. Ainsi Saddam Hussein continue d'apparaître comme un musulman pratiquant, qui se rend régulièrement à la mosquée, alors qu'avant 1991, l'Irak était un pays laïque détesté des islamistes. Le chef de l'Etat irakien ne se prive pas d'accabler Israël et d'embrasser la cause palestinienne dans ses discours fleuves. Ressorts classiques et évidents. Mais Saddam Hussein a su tenir compte des données nouvelles pour réajuster ses messages: affaiblissement de nombreux gouvernements du monde arabe qui cette fois ne sont pas en mesure politiquement de soutenir les Etats-Unis, rupture entre les Etats d'Afrique du Nord, du Proche Orient et les monarchies du Golfe pro-américaines qui accueillent les GI's dans leurs déserts et proposent l'exil à Saddam, montée de l'anti-américanisme dans les Etats du Sud... Le terme croisade prononcé par Bush après le 11-septembre n'a pas été exploité uniquement sur le registre religieux. Bagdad explique aux autres dirigeants arabes u'après l'Irak le tour des autres viendrait fatalement. Et qu'après-tout, comme Saddam l'a déclaré sur la chaîne Al-Jazzeera, les Etats-Unis n'avaient d'autre but que de déstabiliser les gouvernements actuels du monde arabe.Antoine Basbous est l'auteur de "L'arabie Saoudite en question: du wahhabisme à Ben Laden" (Perrin 2002)

CNN-Al Jazira, l'autre guerre: c'est David contre Goliath


- Personne n'a oublié l'image de Peter Arnett commentant en direct du balcon de sa chambre d'hôtel, les premiers missiles tombant sur Bagdad. Janvier 1991, la guerre du Golfe s'ouvrait en direct sur CNN, avec pour la première fois dans l'histoire du reportage, la guerre racontée en live comme une superproduction des studios d'Hollywood. À l'origine de ce coup, un producteur Robert Wiener, un producteur de génie qui avait persuadé un Saddam Hussein réticent de laisser la jeune chaîne satellite d'infos de pouvoir rester dans la capitale irakienne après le déclenchement des hostilités. Pour CNN, ce sera un fantastique coup de pub, qui en une nuit, et en une guerre donnera à la chaîne Américaine la dimension planétaire de leader mondial de l'info.

Le 11 septembre, les attentats contre le World Trade Center, l'arrivée de Ben Laden comme chef de croisade du terrorisme international va donner à une petite chaîne satellite du Qatar, jusque-là très écoutée dans le monde arabe une audience internationale. C'est par elle que le leader d'Al Qaida fera passer ses messages au monde occidental. Des cassettes qui feront chaque fois la " Une " de tous les organes de presse dans les pays occidentaux et dans le monde arabe.

Pendant la guerre en Afghanistan, Al Jazira fut la seule chaîne à garder un bureau à Kaboul. Et aujourd'hui, à la veille du déclenchement de la guerre en Irak, elle apparaît comme sérieusement positionnée dans la guerre médiatique face au géant CNN. C'est tellement vrai, que plusieurs chaînes américaines mais aussi européennes ont déjà passé des accords de diffusion d'images avec la petite chaîne qui a, déjà, tout d'une grande.

Les forces spéciales préparent l'offensive

- Selon une information donnée par la presse britannique, et que n'ont démentie ni Londres ni Washington, 4 000 soldats des forces spéciales (notamment des Australiens, des Américains et des SAS britanniques) seraient déjà à pied d'œuvre sur le sol irakien, préparant la suite des opérations. Pour sa part, le raïs irakien n'a pas choisi l'exil comme le lui conseillent des monarchies du Golfe. Il a promis hier " la victoire " à son peuple. Tout en faisant procéder à la destruction de dizaines de missiles sous les yeux d'inspecteurs de l'Onu. Dix-neuf Al-Samoud 2 ont été détruits depuis le début du processus d'élimination de ces engins entamé le 1er mars. Et, hier, pour la première fois des moteurs de missiles ont également été démolis. Ils devaient être adaptés pour servir à la production de missiles sol-sol. Cela n'a pas empêché les raids américano-britannique de se multiplier dans le sud du pays comme celui de dimanche dans la ville méridionale de Bassorah, qui aurait coûté la vie à six civils et fait 15 blessés, selon Bagdad.

En outre, un scientifique irakien, spécialisé dans le domaine chimique, a été entendu en privé par les experts de la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection de l'Onu (Cocovinu), portant à trois le nombre des entretiens de ce genre depuis une semaine.

L'Onu a également annoncé que les Irakiens leur fourniraient avant le 10 mars un rapport sur la méthode proposée pour quantifier le volume de bacille du charbon et de l'agent neurotoxique VX qu'ils assurent avoir détruits en juillet 1991.

Les Etats-Unis qui ont massé désormais 230 000 hommes la région font pression au Conseil de sécurité pour obtenir une résolution autorisant le recours à la force contre l'Irak qu'ils accusent encore de détenir des armes de destruction massive.

Selon le ministère français des Affaires étrangères, le Conseil de sécurité de l'Onu est " largement " favorable à la poursuite des inspections en Irak.

Dominique De Villepin qui assistera aux consultations du Conseil de sécurité de l'ONU vendredi consacré à l'Irak le redira sans doute avec force. En attendant le camp de la paix se mobilisera à nouveau, aujourd'hui, en France avec des manifestations contre la guerre en Irak à Paris et dans plusieurs villes universitaires, pour coller avec une démonstration prévue sur les campus américains. A Paris, le cortège défilera à partir de 18 heures entre le Luxembourg et la place d'Italie.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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