27/03/2003 Texte

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La Guerre : Tout va se jouer à Bagdad

- Les observateurs ont paru surpris par ce qui semblait être une forte résistance irakienne. La deuxième ville du pays en importance, Bassora, résiste toujours.

Antoine Basbous
: Je ne suis pas du tout surpris par le déroulement des opérations. D'abord la résistance n'est pas si forte que ça : la preuve, c'est que les Américains ont fait une avancée de 500 kilomètres en quelques jours. Et s'ils avaient voulu prendre Bassora par tous les moyens, ils l'auraient fait. Seulement, il y aurait eu de gros dégâts humains. Pourquoi perdre ses forces dans une bataille secondaire? Le plan des Américains consiste à l'évidence à faire tomber Bagdad - et Saddam Hussein. Dès que la tête sera touchée, le système s'effondrera d'un seul coup.

- Il n'en reste pas moins que l'armée irakienne oppose une vraie résistance. Et qu'apparemment, on ne voit pas des populations en liesse – même chiites - pour accueillir les Américains.

- Il y a une raison à cela. Il s'agit pour le régime de la zone la plus stratégique du pays, car elle contrôle le l'accès au golfe Persique. Saddam y a donc expédié ses unités les plus sûres et motivées, appartenant à la Garde nationale ou au parti Baas. Des unités où, bien entendu, toute la hiérarchie est tenue en main par les sunnites.

- Mais la population de la région est majoritairement chiite...

- Les chiites haïssent évidemment Saddam Hussein, mais ils sont également musulmans... et irakiens. C'est la grande ambiguïté chiite : il y a quelques jours, leur plus haute autorité religieuse a émis une fatwa interdisant toute collaboration avec les Américains. Donc, les chiites attendent. Et d'ailleurs, ils ne bougeront pas tant que le raïs ne sera pas mort. La dernière fois qu'ils se sont soulevés, à l'instigation de George Bush père, en 1991, celui-ci a laissé Saddam venir les massacrer en masse. Des dizaines de milliers de victimes. Ils n'ont pas oublié, et ils se méfient.

- Reste la chute de Saddam, justement...

- Tout va se jouer à Bagdad. Et là, c'est une autre histoire, car Saddam y a dépêché des troupes d'élite. En cas de véritable résistance, la bataille peut se transformer en véritable corps à corps. Même si une bonne partie des quartiers de Bagdad sont modernes et construits autour de larges avenues rectilignes. Et même si, bien entendu, des fantassins équipés de toute la panoplie moderne disposent d'une supériorité écrasante sur des tireurs privés de tout moyen de communication, armés d'une kalachnikov.

- Peut-on envisager, même avec de la résistance, une guerre rapide à Bagdad ?


- Les Américains auront deux options. La première : frapper massivement, avec l'artillerie et l'aviation, pour casser le moral des Irakiens et obtenir une reddition rapide. Mais dans ce cas, il y a aura énormément de dégâts humains, y compris dans la population civile. La seconde option consiste à faire le siège de la ville, à l'étouffer. Je crois qu'il y aura un dosage entre les deux options. Avec, toujours, un œil sur les opinions publiques. Il y a quelques jours, Saddam a dit à un dirigeant arabe: « Moi je peux tenir jusqu'100.000 morts. Est-ce que Bush tiendra jusqu'à 1000 morts américains? »

- Est-ce qu'une prolongation de la guerre risquerait de provoquer un embrasement du monde arabe ?

- Il est certain que s'il y avait un véritable enlisement de l'armée anglo-américaine devant Bagdad, si les pertes humaines devenaient considérables, il pourrait y avoir des interventions de gouvernements arabes en faveur d'une trêve, ou d'une négociation, ce qui compliquerait encore davantage la tâche pour les Américains. Mais, du côté de la rue arabe, je constate que, même sans l'aval de l'ONU, le déclenchement de la guerre a provoqué une mobilisation populaire beaucoup plus faible qu'en 1991. Il y a de cinq à 10 fois moins de gens dans les rues qu'à l’époque de la guerre du Golfe: 50.000 manifestants au Maroc, alors qu'il y en avait eu un million 12 ans plus tôt.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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