23/04/2003 Texte

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Les Chiites d'Irak : Il va falloir compter avec eux

Spécialiste de l'Islam, Antoine Basbous vient de signer « l'Arabie saoudite en question. De Bagdad à Riyad » (Editions Perrin)

Le Parisien : Que représentent les chiites en Irak ?

Antoine Basbous : Avec environ 60 % de la population, ils sont largement majoritaires. Pour la première fois depuis une génération, les chiites peuvent descendre dans la rue sans qu'on leur tire dessus. Avec la chute de Saddam, ils ont retrouvé la liberté de culte. Le grand pèlerinage de Karbala, où ils affluent par dizaines et dizaines de milliers, c'est une manifestation religieuse à vocation politique. Les chiites signifient à tous qu'il va falloir compter avec eux, après plusieurs siècles de marginalisation. Sous l'Empire ottoman, sous le mandat britannique, sous la monarchie comme sous Saddam Hussein, ce sont les sunnites qui constituaient, en effet, la colonne vertébrale du pouvoir à Bagdad.

Comment interpréter leur irruption sur la scène politique ?

Leur émergence signale aux sunnites et aux Kurdes qu'ils devront compter demain avec eux. En retrouvant cette liberté d'expression communautaire, ils rêvent de ramener à Nadjaf (en Irak) le « Vatican chiite » qui avait dû petit à petit s'effacer devant la ville sainte de Qom, en Iran, à la suite de la répression des chiites irakiens et de leur soumission au pouvoir du parti Baas. Pour la première fois, les chiites d'un pays arabe sont en train de se libérer : ce qui se passe en Irak peut donner des idées aux chiites d'Arabie saoudite (où ils représentent au moins 10 % de la population), à ceux du Koweït (où ils ont un statut acceptable), à ceux aussi de Bahreïn où ils sont dominés par la minorité sunnite.

« Les Iraniens savent que, sans les Américains, Saddam serait toujours là » Quel rôle joue l'Iran ?

Il y a, en fait, deux Iran : l'Iran du « Guide de la Révolution » et gardien du khomeinisme, l'ayatollah Khamenei, qui ne cache pas son hostilité à l'Amérique, toujours qualifiée de « Grand Satan », et l'Iran du président réformiste Khatami, désireux d'une réconciliation avec Washington. Entre les deux hommes : l'opportuniste Rafsandjani (ancien président de la République islamique iranienne). Lui vient de proposer un référendum pour ou contre le rétablissement des relations avec les Etats-Unis. Et il est conscient que plus de 80 % de ses compatriotes diront oui. Téhéran veut ainsi faire comprendre à Washington qu'en Iran la démocratie est une réalité. L'ASRII (Conseil supérieur de la Révolution islamique en Irak) de l'ayatollah Al Hakim a d'ailleurs participé, en décembre à Londres puis au Kurdistan en février, aux conférences réunissant l'opposition à Saddam. Les Iraniens savent bien que, sans les Américains, Saddam serait toujours là, mais ils ne peuvent applaudir l'intervention d'une armée étrangère et chrétienne (donc impie) en terre d'islam. Ils se sont cependant bien gardés d'appeler les Irakiens à résister, puis à se soulever contre les Américains.

Propos recueillis par Bruno Fanucchi

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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