15/12/2003 Texte

pays

<< RETOUR

«Les Irakiens sont libérés de la peur»

Cette arrestation marque-t-elle un tournant de taille dans la guerre en Irak ?

Oui, c'est un événement majeur dans cette guerre. C'est quelque chose d'essentiel pour les Irakiens qui sont maintenant libérés de la peur après la capture de leur dictateur et l'élimination de ses fils et héritiers. Pour la coalition, c'est un début de succès. Elle a toutefois perdu beaucoup de temps et beaucoup d'énergie. Pendant huit mois, la dynamique vertueuse lui a échappé en raison d'erreurs, notamment psychologiques.

Cette arrestation va-t-elle donner un coup de frein sérieux à la résistance irakienne ?

Elle va décapiter une partie de l'opposition armée irakienne, issue du parti Baas. En revanche, l'opposition armée que constituent les hommes de Ben Laden va continuer à sévir - et à sévir durement. Car elle inscrit son combat dans la perspective d'une Jihad universelle pour abattre l'empire américain en Irak comme elle prétend avoir abattu l'Union soviétique en Afghanistan.

Les attaques contre les Américains vont-elles diminuer ?

Disons que la composante purement irakienne de cette opposition armée va décliner parce qu'elle sera déprimée, ne voyant plus pour qui elle doit se battre. En revanche, les islamistes de tendance salafiste et wahhabite vont continuer à envoyer des kamikazes.

Est-ce un moment important pour le processus de transition du pouvoir à un gouvernement civil irakien, un processus que les Américains veulent accélérer ?

Il est trop tôt pour remettre le pouvoir à des forces irakiennes. Pendant une génération, Saddam n'a pas laissé une société civile se constituer, il n'a pas permis aux gens de respirer, il n'a pas toléré de partis politiques... Les Irakiens doivent reconstituer leurs forces et créer des institutions assurant la stabilité. Si les Américains partaient aujourd'hui pour des raisons électoralistes, ce serait une réelle catastrophe pour les Irakiens. Le chaos serait généralisé. Cela étant, les Américains ne doivent pas s'installer indéfiniment dans ce pays.

On parle de juin 2004. Est-ce une échéance raisonnable ?

Le plus tôt après la constitution d'un gouvernement stable serait le mieux. Mais je ne veux pas m'inscrire dans un calendrier. Tout ce qui est prématuré est très mauvais parce que l'on risquerait de retrouver un dictateur peu après le départ des forces de la coalition ou le chaos qui serait contagieux pour la région.

Quel est l'impact que cette arrestation d'un dictateur peut avoir dans le monde arabe ?

Eh bien, il y a beaucoup de gens qui seront tristes, tous ceux qui préfèrent la dictature arabe à une intervention américaine. En revanche, la société civile, les libéraux, ceux qui aspirent à l'espoir d'un monde nouveau et au changement, se réjouiront. En se demandant quand les autres dictateurs vont-ils tomber...

Ce qui vient de se passer peut-il avoir un effet boule de neige ?

Oh non... Parce que c'est le fruit d'une occupation étrangère et d'une traque de huit mois. Dans les pays arabes, les régimes ne tombent pas avec des manifestations de rue, comme ce fut encore le cas en Géorgie. Les chefs d'Etat arabes sont très déterminés à se maintenir au pouvoir quel que soit le coût de leur maintien.

C'est une libération pour le peuple irakien, dites-vous. Parce que ce régime a été terrible avec Saddam Hussein pendant vingt-quatre ans. Mais cette main de fer, sans la justifier bien sûr, n'a-t-elle pas cimenté un pays aux populations très diverses? N'y a-t-il pas un risque de guerre civile ?

Ecoutez... Pour ce pays, il y a deux façons de faire. Ou bien un dictateur qui centralise tout, qui règne par la terreur et la répression, ce qui était le cas. Ou bien on respecte les gens, on donne à tous leur mot à dire: Kurdes, chiites, sunnites... Il faut un pouvoir fédéral dans lequel aucune minorité ne se sentira réprimée et sacrifiée.

Cela vous semble être le chemin que l'on emprunte aujourd'hui ?

Cela me paraît être le projet actuel. Je ne peux pas encore parler de l'aboutissement de celui-ci. Mais ce serait quelque chose de raisonnable. En tout cas, le changement ne pouvait pas intervenir sous Saddam car il avait verrouillé le pays en s'attribuant 100 pc des inscrits lors des dernières élections présidentielles. Maintenant, une nouvelle gouvernance, qui sera sans doute un moindre mal, peut se mettre en place.

Le plus important, dans ce qui vient de se passer, n'est-il pas le fait que cela marque un point de non-retour? Il est impossible, désormais, pour des nostalgiques de considérer qu'un tel régime pourra revenir un jour...

Le Baas est fini. La page du Baas est définitivement tournée. Il n'y a plus d'espoir pour que quiconque puisse un jour reconstituer ce parti et reprendre le pays.

© La Libre Belgique 2003

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
twitter   |