16/12/2003 Texte

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La vraie bataille commence aujourd'hui

Un Nuremberg du baassisme s'impose. Pour la paix du monde, pour servir de précédent régional et pour la paix des vingt-cinq millions d'Irakiens usés par trente-cinq années de dictature. Naturellement, c'est au peuple irakien lui-même qu'il reviendra de juger Saddam. Mais comme les Irakiens n'ont ni l'expérience ni l'expertise nécessaires à la bonne tenue des débats, le Conseil de sécurité de l'ONU devra désigner des juges internationaux pour venir à leur secours. Mais, en tout état de cause, le verdict final devra être irakien, car il importe que le jugement de ce dictateur, les concernant en premier chef, ne leur échappe point. C'est, pour le peuple irakien, le seul moyen de recouvrer la paix intérieure et la sérénité.

Oui, il faut qu'un procès ait lieu afin que les Irakiens puissent enfin exorciser le traumatisme consécutif à des années de terreur et de violences sanguinaires et bénéficier d'une thérapie de choc élargie au niveau national. Ce procès public, équitable, devra soumettre tous les dignitaires de l'ancien régime à la loi internationale. Le peuple irakien doit enfin pouvoir comprendre les rouages et la dynamique du pouvoir saddamien, les mécanismes de la tyrannie et de la répression féroce qui se sont abattues sur lui.

Pour comprendre les mécanismes d'un tel tyran, son instinct prédateur, les experts devront se pencher du côté de sa petite enfance. Orphelin battu et malmené par son beau-père, recueilli par son oncle maternel et soumis à une pauvreté inouïe dans son village de al-Oja, à proximité de Tikrit, l'ambitieux Saddam a commencé à se faire respecter dès lors qu'il sut rendre coup pour coup aux autres enfants. Toute sa vie s'est jouée sur un rapport de force exercé sans limites ni aménité, sans aucun sens de la justice, éliminant tous ceux qui pourraient s'attaquer à lui, à ses proches, à ses institutions. Ce mécanisme de cruauté préventive et permanente a hélas fait des émules, essaimé parmi ses proches et son armée de seconds.

C'est pourquoi il est fort à craindre que les saddamiens ne pourront jamais se satisfaire de l'humiliante reddition sans résistance de leur chef si redouté. Celui qui faisait trembler un peuple entier n'a tiré aucune balle, n'a pas même tenté de se battre pour se défendre. Il n'a pas même eu l'élémentaire dignité de se suicider. Le découvrir ainsi clochardisé avec sa barbe et ses cheveux hirsutes, se laissant docilement examiner la tête et la denture par un médecin américain va dégoûter et décourager tous ces hommes qui, si longtemps, ont suivi le dictateur tant par crainte que par appât du gain et du pouvoir. Les baasistes vont enfin comprendre que ce chef, redouté de toutes leurs fibres, n'était qu'une hyène, s'acharnant sur les faibles sans pour autant faire preuve de courage au moment critique. Que vont-ils faire désormais ? Il est fort à parier qu'ils chercheront à quitter l'Irak. Les fortes sommes d'argent dont ils disposent auront du mal à faciliter un exil d'autant plus délicat qu'aucun État, en ce moment, ne prendra le risque de défier les Américains ragaillardis par la capture de Saddam.

Ce coup de force ne doit pas nous faire oublier l'enjeu principal du conflit, l'islamisation du Moyen-Orient. Certes, cette capture, aboutissement de huit mois de traque, va momentanément donner une bouffée d'oxygène aux Américains. Cet élan de joie provisoire partagé par le peuple irakien enfin libéré de la peur du tyran ne doit pas faire oublier que les partis islamistes ont toujours le vent en poupe. Leur doctrine continue de fonctionner. Ben Laden aurait ordonné le transfert de 350 combattants d'Afghanistan vers l'Irak, les candidats au suicide kamikaze ne manquent pas, toutes les opérations ciblant les forces américaines en Irak furent vraisemblablement perpétrées par des hommes de Ben Laden.

La composante irakienne de l'opposition armée va certes décliner, mais l'autre frange de ce pôle combattant, s'inscrivant dans la durée et voulant faire de l'Irak une terre de djihad a de beaux jours devant elle. L'offensive de Ben Laden va se poursuivre et s'accélérer, peut-être même fédérer les mécontents qui disposent toujours de 4 000 km de frontières poreuses dans lesquelles pourront s'infiltrer de nouvelles vagues de kamikazes continuant à frapper les cibles américaines et alliées et faisant de l'Irak l'Afghanistan des États-Unis. Une perspective d'autant plus redoutable que le territoire irakien peut facilement recueillir les moujahidins de toutes origines, situé qu'il est au coeur du Moyen-Orient, non loin d'une Arabie Saoudite accessible non par une, mais six frontières peu contrôlées. L'Irak est en train de devenir une nouvelle terre de djihad. C'est tout l'enjeu de la véritable bataille qui commence au lendemain de la capture de Saddam.

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OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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