Turquie-Egypte-Tunisie: troubles politiques
Les manifestations dans plusieurs villes turques sont suivies de près dans le monde arabe, inquiétant les dirigeants islamistes qui vantent depuis longtemps la Turquie comme un modèle de réussite de l'islam politique, selon des analystes.
Les manifestations dans plusieurs villes turques sont suivies de près dans le monde arabe, inquiétant les dirigeants islamistes qui vantent depuis longtemps la Turquie comme un modèle de réussite de l'islam politique, selon des analystes.
Des milliers de Turcs ont participé à ces manifestations contre le gouvernement, défiant l'appel du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan à mettre fin aux pires troubles depuis qu'il est entré en fonctions il y a environ dix ans.
Les troubles ont commencé lorsque la police a brutalement réprimé une petite campagne pour sauver un parc d'Istanbul, se transformant en manifestations à l'échelle nationale contre M. Erdogan et son parti, l'AKP, considérés comme de plus en plus autoritaires. Des évènements que les pays du "Printemps arabe" suivent de près.
L’Égypte et la Tunisie, où les islamistes sont arrivés en tête aux élections, "doivent être inquiètes devant les problèmes rencontrés par la Turquie d'Erdogan, censée constituer un modèle abouti de fonctionnement" de l'islam politique, estime Antoine Basbous, de l'Observatoire des pays arabes, à Paris.
La Tunisie et l’Égypte, où des révoltes sans précédent ont fait tomber deux dictateurs en 2011 et ouvert la voie aux islamistes, ont à plusieurs reprises vanté la Turquie comme un modèle de démocratie islamiste modérée.
Le parti islamiste tunisien Ennahda, arrivé en tête à la première élection après la révolte, a ouvertement exprimé son admiration pour "le modèle turc", tandis que le président égyptien Mohamed Morsi, qui a prononcé un discours devant un congrès de l'AKP en septembre 2012, a affirmé que le parti de M. Erdogan était "une source d'inspiration".
Mais les deux pays arabes pâtissent d'une polarisation croissante entre islamistes et laïcs, les islamistes au pouvoir étant notamment accusés de ne pas tenir leur promesse de garantir les droits et libertés.
En Egypte, beaucoup font le parallèle entre les manifestations anti-AKP et un rassemblement prévu le 30 juin contre le président Morsi à l'occasion du premier anniversaire de son accession au pouvoir.
Mais des membres du Parti de la Liberté et de la Justice (PLJ) de M. Morsi affirment que de telles comparaisons visent seulement à couper l'herbe sous le pied des dirigeants islamistes.
"Ce qui se passe en Turquie n'a rien à voir avec les besoins quotidiens ou économiques. Cela vise à promouvoir l'idée que les régimes islamistes, qui ont fait des prouesses économiques et prouvé au monde qu'ils pouvaient faire face à tous les défis externes, ont échoué", assure Mourad Ali, un responsable du PLJ, dans une interview au quotidien indépendant Al-Masri Al-Yom.
Mais M. Basbous estime que les manifestations en Turquie servent à rappeler aux libéraux et aux laïcs dans le monde arabe "qu'ils ont été les moteurs du changement" en 2011. Cela ne se traduira toutefois pas nécessairement en un changement sur le terrain, ajoute-t-il, l'opposition aux islamistes en Egypte et en Tunisie restant faible et peu organisée.
L'analyste politique tunisien Sami Brahem affirme de son côté qu'"il y a des tentatives d’exporter ce qui se passe en Turquie vers la Tunisie. Ce sera difficile d’en faire un mouvement de protestation d’envergure, mais (la situation en Turquie) peut constituer un soutien moral à tous les laïcs face à des gouvernements islamistes".
Certains considèrent que les manifestations en Turquie reflètent un mécontentement à travers la région face à l'islam politique, toutes proportions gardées toutefois: M. Erdogan a été élu trois fois, avec une augmentation constante des votes en sa faveur.
"Au final, ce qui importe ce n'est pas la justesse de l'analogie, mais sa perception publique et sa capacité à frapper les esprits, ce qui semble le cas en ce moment", affirme Hesham Sallam, un politologue de l'Université de Georgetown, aux États-Unis.
Plus de deux ans après les soulèvements, l’Égypte et la Tunisie traversent une crise économique et pour certains spécialistes, c'est l'économie, plus que l'idéologie, qui conduirait à de nouveaux mouvements de protestation.
L'incertitude politique en Tunisie a paralysé les investissements étrangers et menace une reprise du tourisme, qui représente 7% du PIB et emploie quelque 400.000 Tunisiens. L'instabilité en Egypte a les mêmes effets et pèse sur les négociations autour d'un prêt du FMI. "L’échec des gouvernements à réaliser les promesses (économiques et sociales) peut conduire à un nouveau mouvement de contestation", estime M. Brahem.