23/12/2004 Texte

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Libération des otages français en Irak

Plusieurs hypothèses passées au crible Les mystères d'un heureux dénouement

Quel bonheur de voir s'interrompre l'épreuve de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot ! Mais s'agit-il d'un vrai conte de Noël ou d'une heureuse coïncidence ? Il serait très naïf de croire que les preneurs d'otages ont agi par compassion. Ils s'inspirent d'une doctrine wahhabite trop intolérante pour être sensible « aux fêtes païennes des mécréants occidentaux »... Ces tueurs froids et sadiques, aussitôt leurs crimes commis, se précipitent sur Internet pour diffuser les images atroces de l'assassinat d'otages innocents et répandre une « culture » de la haine gratuite. Dommage qu'il y a eu si peu d'oulémas pour condamner de tels actes de barbarie, commis au nom d'une grande religion. Quel crime a commis le journaliste pacifiste italien Enzo Baldoni pour mériter le sort qui lui a été réservé par l'Armée islamique en Irak ? Il faut l'avouer : après la libération de Chesnot et de Malbrunot, nous sommes encore dans le temps des mystères, des questions et des interrogations. Contentons-nous donc de quelques hypothèses, fussent-elles politiquement incorrectes...

Jusqu'à quel point le gouvernement français était-il informé du jour de l'heureux dénouement ? Il est certain que la diplomatie française, ainsi que les services secrets, n'ont jamais relâché leurs efforts. Etaient-ils informés pour autant de l'imminence de l'aboutissement de leurs démarches ? On peut en douter. Sinon, le président Chirac ne se serait pas envolé pour Marrakech lundi pour rentrer à Paris le lendemain ! A moins que la multiplication des faux espoirs ait fini par rendre peu crédibles les rendez-vous annoncés.

Qu'est-ce qui a permis d'aboutir ? Ecartons l'influence directe de la communauté musulmane de France sur les preneurs d'otages, même si, au début de l'affaire, les efforts soutenus de celle-ci ont sans doute permis de surseoir à la menace d'exécuter les otages et entraîné la mobilisation de muftis radicaux, écoutés par la mouvance islamiste. Si la libération était intervenue pour satisfaire la requête des musulmans français, ils auraient été les premiers informés et l'auraient fait savoir pour engranger ainsi un bénéfice politique, lequel aurait été très incertain. Car revendiquer une proximité avec une telle organisation terroriste n'aurait pas été porteur d'une image favorable de l'islam français.

Evoquons d'autres hypothèses plus crédibles :

Y a-t-il eu versement d'une rançon ? Que cette hypothèse soit vraie ou fausse, nous aurons droit aux démentis « légitimes » du gouvernement français. Mais nous savons d'expérience que, dans cette région du monde comme ailleurs, il y a eu presque toujours une contrepartie financière aux libérations d'otages, prélevée sur les fonds secrets. Elle se fait à travers des valises, des « aides » aux associations caritatives ou culturelles, ou par le biais de généreux « donateurs » qui n'ont même pas la nationalité du pays dont ils sont chargés de libérer les otages. Ils sont très nombreux dans le Golfe... S'agit-il d'une réponse aux voeux exprimés par Saddam Hussein ? Le dictateur déchu a pu rencontrer librement, il y a quelques jours, son avocat pendant quatre heures et demi et s'est dit satisfait des positions françaises, allemandes et espagnoles. Ce message était-il suffisant pour faire libérer les otages ? Dans ce cas, on pourrait accréditer l'idée que l'Armée islamique en Irak est désormais dominée par sa branche nationaliste et baasiste au détriment de son aile islamiste. Cette dernière avait dénoncé la loi française sur le port du voile à l'école publique pour justifier le rapt de Chesnot et Malbrunot.

De cette hypothèse en découle une autre, défendue par des opposants irakiens et arabes à l'occupation de l'Irak qui ne versent pas dans une hostilité aveugle à « l'Occident croisé ». Ils plaident pour distinguer entre les « bons » et les « mauvais » occidentaux. Ils veulent s'appuyer sur les premiers pour contrer les seconds (Américains). Et ce, dans le but d'accroître les divisions au sein du camp occidental et d'isoler Washington.

Et la Syrie ? A-t-elle joué un rôle déterminant dans l'affaire ? La prise d'otages a démarré au moment où Paris et Washington déposaient conjointement devant le Conseil de sécurité de l'ONU un projet de résolution invitant Damas à retirer son armée de « sa colonie » libanaise. Cette résolution, la 1559, a été adoptée le 2 septembre. Par la suite, il y a eu l'équipée du député Didier Julia, reçu à bras ouverts à Damas, qui eut pour effet de nuire aux efforts du gouvernement français. Lors de sa tournée d'une semaine dans la région, Michel Barnier omit de prendre le chemin de Damas. Peut-on imaginer aujourd'hui que la Syrie, montrée du doigt par les puissances occidentales, abandonnée par les Etats arabes, ait fini par mesurer le risque encouru en continuant à exercer sa capacité de nuisance ? Nous n'avons pas de preuves pour l'affirmer, mais la tradition terroriste du régime syrien, qui refuse de s'amender, nous oblige à poser la question.

En tout état de cause, l'Irak restera longtemps encore une destination dangereuse. Loin de diminuer, le nombre des victimes ne cesse d'y croître au fil des mois. La campagne américaine s'enlise et s'éloigne de ses objectifs de départ. La reconstruction promise de la société et des infrastructures ne peut se réaliser dans les conditions sécuritaires infernales que connaît le pays. Les élections, quoique indispensables, ne semblent pas pouvoir déboucher sur une quelconque stabilité. Dans ces conditions, les Français ne doivent pas compter sur l'illusion de leur « politique arabe » pour s'aventurer en Mésopotamie. Cette politique a fait son temps. Elle a besoin d'être largement actualisée et dépoussiérée pour s'adapter aux nouvelles donnes internationales et aux divorces constatés entre sociétés et régimes arabes.

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OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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