« La France ne doit pas rougir de ce qu'elle a fait »
Directeur de l'observatoire des pays arabes, Antoine Basbous porte un regard neutre sur un conflit syrien qui est de nature à modifier le paysage politique du Proche-Orient, mais aussi les équilibres internationaux.
La crise syrienne marque-t-elle le début d'une nouvelle guerre froide ?
Cette crise est révélatrice de la montée en puissance d'une Russie nostalgique de l'Union soviétique. Pour Poutine, elle a été le vecteur de lancement d'une recherche de puissance pour rehausser la stature de Moscou sur la scène internationale, tout en défendant ses intérêts bien compris, notamment dans le port de Tartous, le dernier port militaire qui lui reste en Méditerranée.
Existe-t-il une sortie politique de la crise syrienne ?
Non, et pas à ce stade, parce qu'Assad s'appuie sur des alliés comme l'Iran qui fournit expertise, armes et argent. C'est l'Iran, frappé de sanctions, qui règle la facture de ce conflit. Assad veut soit reconquérir tout le pays, ce qui, à mon sens, est impossible, soit se tailler une région alaouite élargie grâce à des massacres et à un nettoyage confessionnel. Cette stratégie lui permettrait d'englober la ville de Homs et la région de Qusseir et faire la jonction avec l'allié libanais Hezbollah. De la sorte, l'Iran pourrait ravitailler le Hezbollah par le port de Tartous en pays alaouite.
La France s'est-elle laissé piéger à la suite du vote de la Chambre des communes et de la décision d'Obama de consulter le congrès US ?
Il y a eu une première surprise britannique et une deuxième surprise américaine. Les Britanniques se sont définitivement placés hors jeu, alors que le Congrès américain va sans doute accorder un mandat renforcé à Obama pour intervenir de façon forte, mais limitée. La France, dans ce contexte, ne doit pas rougir de ce qu'elle a fait, de ce qu'elle est. Ce n'est pas parce que la Constitution d'autres pays ou la frilosité de leurs chefs ont exigé la consultation des parlements que la France doit suivre. Il y a une Constitution en France. Pas besoin de s'aligner sur ce que font d'autres États.
Les preuves de la culpabilité de Bachar El-Assad dans le bombardement de la population civile à coups de gaz toxiques sont-elles convaincantes ?
Il n'y avait ni huissier ni officier de police judiciaire au moment où les tirs ont été administrés. Mais j'ai l'intime conviction, d'après ce que je sais de ce régime, de ses capacités, de ses moyens et de son comportement, que c'est bien le régime d'Assad qui a gazé sa population.
Ce dossier ne souligne-t-il pas, une fois de plus, de l'insignifiance politique de l'Europe ?
C'est vrai. L'Europe est un nain politique et même un nain militaire. Quand on regarde la part réservée à la défense dans les budgets des pays européens, c'est ridicule. À quelques exceptions (la France et la Grande-Bretagne), l'Europe compte sur le parapluie de la protection américaine. Les Européens ne conçoivent leur sécurité qu'en terme de politique intérieure et non pas en terme de projection en tant que puissance internationale.
Propos recueillis par Philippe Reinhard - letelegramme.fr