29/01/2014 Texte

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Egypte : Al-Sissi, promotion président ?

Alors que Mohamed Morsi comparaissait devant la justice pour son procès mardi 28 janvier, le maréchal Al-Sissi profite du temps que l’ancien président islamiste déchu passe derrière les barreaux pour briller en « héros populaire ». Il a désormais mandat de l’armée pour porter sa candidature à la prochaine présidentielle égyptienne.


Al-Sissi, l’homme fort de l'Égypte maîtrise l’art de la discrétion. Le portrait de ce militaire de l’ombre s’affiche aujourd’hui sur les murs, dans les manifestations et jusque dans les chocolateries égyptiennes. Né en 1954 dans une famille de petits commerçants, il sort diplômé de l’Académie militaire égyptienne en 1977. Il part ensuite étudier en Angleterre en 1992, puis aux États-Unis en 2006. Dès le début de sa carrière, sous le régime Moubarak, il entretient des liens étroits avec l’Arabie saoudite où il devient attaché militaire égyptien. De retour dans son pays, il devient ensuite chef de la zone militaire Nord à Alexandrie.

Ministre de la Défense

Patron des renseignements, Al-Sissi devient aussi, en 2011, le benjamin du Conseil Suprême des Forces armées (CSFA). Ce cercle des plus hauts gradés de l’armée égyptienne aura un rôle important lors de la transition entre la chute d’Hosni Moubarak et l’élection du nouveau président Morsi. C’est ce dernier qui remerciera l’influent maréchal Tantoui, ancien proche de Moubarak, pour nommer Abdul Fatah AL-Sissi à ses postes de chef du Conseil Suprême des Forces armées (CSFA) et de ministre de la Défense. Al-Sissi fait ainsi son entrée au gouvernement. Grâce à sa renommée d’homme très pieux, les Frères musulmans le voit alors comme un allié.

La nomination de ce (presque) inconnu avait soulevé alors beaucoup de commentaires.
Une mise au pas de l’armée par les nouveaux dirigeants islamistes ? En fait, le général Al-Sissi cherche surtout à préserver l’indépendance de l’armée. Impossible de toucher à cette institution qui tient un rôle prépondérant en Égypte : l’armée représente 30% du PIB du pays.

Lors de la rédaction de la Constitution en 2012, Al-Sissi insiste sur deux points : aucun droit de regard du Parlement sur le budget de l’armée et immunité totale des militaires. Ce sont pourtant eux qui ont assuré la répression des manifestants pendant la révolution de 2011.

Général

Novembre 2012 : c’est le divorce entre Al-Sissi et le président Morsi. D’homme discret, le général se saisit de la méfiance de la population à l’encontre des nouveaux dirigeants issus des Frères musulmans. En juillet 2013 des milliers d’Égyptiens descendent dans les rues à l’appel d’un jeune mouvement Tamarrod qui exige des élections anticipées. Le président Morsi est seulement élu depuis un an.

Le 3 juillet 2013 la situation se retourne contre Morsi. C’est Al-Sissi qui annonce devant les médias la destitution du seul et unique président égyptien élu démocratiquement. Il déclare à la presse : « La Constitution est suspendue provisoirement. Une élection présidentielle anticipée sera organisée. » A laquelle il participera peut-être…

Quelques mois plus tard pour le vote de la Constitution, le portrait de Al-Sissi s’étalait partout dans les rues. Ce vote a, alors, pris des allures de plébiscite. Pour certains « un héros populaire », pour les pro-Morsi « un assassin » et peut-être demain un président.

Maréchal puis président ?

Lundi 27 janvier, à 59 ans, le général Al-Sissi est promu au plus haut grade de l’armée : maréchal. Ce même jour, le commandement de l’armée égyptienne a adoubé son chef pour briguer la fonction présidentielle. Le Conseil Suprême des Forces armées a indiqué dans un communiqué qu’il «considère cette revendication populaire comme un ordre». Mais pour se présenter, l’homme fort de l'Égypte devra prendre sa retraite militaire ou démissionner de ses fonctions car le président doit obligatoirement être civil selon la Constitution. Il a donc les cartes en mains pour prendre les rênes du pays.

Les pro-Morsi ne baissent pas les bras, ils poursuivent leurs manifestations dans les rues alors que la répression a déjà plus de 1.000 morts dans leurs rangs depuis l’été dernier et que les Frères musulmans ont été considéré comme «organisation terroriste» en Égypte. La confrérie est donc hors jeu pour le prochain scrutin qui devrait avoir lieu dans les trois mois à venir, avant les prochaines législatives, selon l’annonce faite par le président par intérim Adly Mansour? Un chef d’Etat bien pâle face à l’omniprésent d’Al-Sissi. La troisième voie se fait aussi peu entendre. Al-Sissi pourrait avoir le champ libre pour ce prochain scrutin. Homme fort, héros populaire, peut-être ,mais parviendra-t-il à sortir le pays du chaos ? Il aura en tous cas les cartes en mains pour le faire. Mais la situation reste compliquée, comme nous l’explique ci-dessous, Antoine Basbous.

Décryptage avec Antoine Basbous

Politologue et spécialiste du monde arabe, il est auteur de « Le tsunami arabe », édition Fayard et dirige l'Observatoire des Pays Arabes (OPA).

Comment le maréchal Al-Sissi est-il parvenu à gagner une telle notoriété en Égypte (voir notre diaporama) ?

L’opinion publique égyptienne a soif d’un pharaon. En Égypte, c’est la posture du «zaïm» qui domine l’opinion publique. On impute au pharaon des pouvoirs, comme si sa parole pouvait devenir acte. C’est la propension d’un peuple à placer tous ses espoirs en un homme, pensant qu’il peut faire des miracles.

Est-ce que, finalement, il était là au bon moment ? 


Il répond aux attentes de l’opinion publique après la grande déception occasionnée par règne de Morsi et des Frères musulmans. Ils sont arrivés au pouvoir grâce à l’usure de l’ancien régime et parce que la révolution de 2011 cherchait du sang neuf. Mais, une fois installés au pouvoir, le président Mohamed Morsi et les Frères ont déçu parce qu’ils voulaient verrouiller le système. C’est la politique du «tamkine» (du verrouillage en arabe). Ils se voyaient déjà comme gouvernants de l’Égypte pour un siècle, voulaient placer leurs hommes, modifier la Constitution… Or le peuple n’a pas fait la révolution pour troquer les généraux par des barbus. Ils ont d’autres préoccupations notamment  en termes de liberté, de développement économique… Et quand Al-Sissi est apparu, et qu’il a su mobiliser dans la rue des dizaines de millions d’Égyptiens pour contester Morsi, le peuple lui a attribué des facultés de faiseurs de miracles et l’a soutenu.

Le maréchal Al-Sissi incarne-t-il un regain de pouvoir de l’armée en Égypte ? 

En 2011, quand l’armée a signifié à Moubarak qu’elle arrêtait son soutien, elle a permis le changement. Ce laisser-faire a permis une transition très courte durant laquelle l’armée était vigilante mais elle ne pouvait pas reprendre le pouvoir. En revanche, un an après l’arrivée des Frères, elle pouvait prétendre représenter un moindre mal pour le pays par rapport à la Confrérie inexpérimentée qui voulait tout verrouiller. Le peuple a oublié que l’armée était au pouvoir sous Moubarak, sous Sadate, sous Nasser…depuis 1952. Elle a retrouvé une nouvelle virginité grâce à l’échec de la transition sous les Frères musulmans qui n’a duré qu’une année.

Le maréchal Al-Sissi qui a travaillé en Arabie saoudite n’est-il pas un pion du pouvoir saoudien ?

Il ne faut pas tout confondre. C’est vrai qu’Al-Sissi a été attaché militaire en Arabie saoudite et que le royaume a horreur des Frères musulmans. Mais là, Al-Sissi et l’Arabie saoudite sont dans le cadre d’une alliance dans laquelle l’armée égyptienne a fait chuter la Confrérie et a ôté la menace des Frères musulmans sur l’Arabie et les autres monarchies du Golfe. L’armée a aussi cassé la dynamique créée par le Qatar, principal soutien des Frères. Mais de là à dire que Sissi est instrumentalisé par l’Arabie, c’est une grosse erreur. Il agit en patriote, en représentant de l’armée et de ses intérêts, ainsi que de la haute administration et de ses intérêts.

Aujourd’hui, l’Arabie soutient l’Égypte avec les Émirats, le Koweït, Bahreïn et Oman qui n’ont pas d’autres moyens que le soutien politique. Il n’y a que le Qatar qui ne soutienne pas Al-Sissi et qui continue de parier sur les Frères musulmans.

Peut-on parler de promotion fulgurante pour le maréchal Al-Sissi ?

Avant d’occuper les devants de la scène, Al-Sissi était le patron du renseignement militaire de l’armée. Il avait occupé auparavant plusieurs postes importants. Il était passé par une académie militaire américaine. Le fait qu’il soit pieux avait induit les Frères musulmans dans l’erreur ; ils l’ont nommé ministre de la Défense. A ce poste, il était dépositaire des intérêts de l’armée et placé comme alternative au régime des Frères musulmans. Naturellement, tous les regards se sont tournés vers lui pour opérer le changement. Et il a joué ce jeu de façon assez magistrale.

Mais, il me semble qu’il a pour point faible son narcissisme. Avez-vous vu ses treillis ? On les dirait taillés par de grands couturiers ! Et ses lunettes de soleil qu’il porte même quand il ne fait pas beau : Je pense que là, il pêche un peu. Il ne ressemble pas  à l’Égyptien moyen. Il y a du narcissisme dans le Sissisme.

Peut-il réellement être l’homme de la situation pour apaiser l’Égypte ? 

Il y a une triple difficulté. La première est structurelle : les indicateurs économiques de l’Égypte sont tellement mauvais qu’Al-Sissi ne peut pas faire de miracles. Il en est d’autant plus conscient qu’il a demandé aux monarchies du Golfe de soutenir la modernisation de l’économie égyptienne. Mais les besoins sont tels que tous les efforts du pays du Golfe iront d’abord à la perfusion financière du pays et non à sa modernisation.

Deuxième grand défi : la violence qui s’installe et qui migre du Sinaï vers le Sud, vers les grandes villes, avec des opérations kamikazes. S’il est vrai que la Confrérie a vu se réduire sa base sociale, elle s’est aussi radicalisée. Du coup, on est passé à la violence terroriste, aux assassinats politiques, aux opérations kamikazes. Là, c’est le deuxième défi que l’Égypte a déjà rencontré dans les années 90. Le pays avait réussi à le surmonter mais la condition pour y parvenir aujourd’hui passe par une aisance économique minimum. Donc le pays a besoin d’un vrai soutien des monarchies du Golfe. Non seulement pour laisser sous perfusion l’économie, pour pouvoir payer les salaires mais surtout pour moderniser l’économie, faire les réformes qui s’imposent et que tous les précédents régimes ont repoussées. Y compris celui des Frères musulmans.

Troisième grand défi : mettre un terme à la polarisation extrême de la société entre pro et anti-Frères musulmans. Le pouvoir devra trouver un certain modus vivendi avec la partie modérée des islamistes. Aussi, Al-Sissi n’a pas intérêt à jeter dans l’opposition les élites républicaines qui avaient initié la révolution de 2011 et qui ne supportent pas le «totalitarisme» annoncé de l’armée.

Le miracle n’est pas possible. Il faut que cela s’inscrive dans le long terme. Le succès d’Al-Sissi n’est pas garanti, il va devoir faire du populisme, de la démagogie pour racheter la confiance du peuple et pour pouvoir durer.

Léa Baron (article original)

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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