10/02/2014 Texte

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«Le sud de la Libye est devenu un sanctuaire du terrorisme». Vers une intervention internationale?

Le ministre de l’Intérieur du Niger a appelé la semaine dernière la France et les États-Unis à intervenir dans le sud de la Libye, pour « éradiquer la menace terroriste ». Fin janvier, c’est le chef d’état-major des armées françaises qui annonçait qu’une opération internationale dans la région pourrait éviter la formation « d’un nouveau centre de gravité du terrorisme ». Selon Antoine Basbous, politologue et directeur de l’Observatoire des pays arabes (OPA), le lancement d’une telle opération n’est pas encore à l’ordre du jour, mais la zone reste étroitement surveillée par les satellites et drones occidentaux. En cas de réelle menace, les armées étrangères seraient prêtes à agir.

JOL Press : Qui sont les groupes terroristes présents dans le sud de la Libye ?
 
Antoine Basbous : Le sud de la Libye est devenu un sanctuaire du terrorisme international. Parmi les groupes présents, certains ont échappé à l’intervention française au Mali, d’autres ont fui un contexte qui leur était défavorable au nord de la Libye, d’autres enfin ont quitté l’Algérie pour trouver refuge dans une région qui échappe à tout contrôle étatique. Déjà incapables de protéger le siège du gouvernement et le ministère de la Défense à Tripoli [la capitale libyenne], les autorités libyennes n’ont en effet pas les moyens de contrôler le grand sud du pays, situé à 2 400 kilomètres de la capitale. Mais cette zone immense reste surveillée par les satellites et les drones occidentaux.

JOL Press : Pourquoi le Niger est-il favorable à une intervention occidentale dans le sud de la Libye ?
 
Antoine Basbous : Le Niger est inquiet. Depuis la Libye, les terroristes peuvent aisément mener des raids dans ce pays voisin avant de s’abriter de nouveau dans leur sanctuaire, comme ils l’avaient fait en janvier 2013 à l’occasion de l’attaque du site gazier d’In Anemas en Algérie Lsite gazier d’In Amenas, en Algérie. Tous les pays limitrophes de la Libye s’inquiètent donc de l’installation durable de cette zone de non-droit et se demandent qui pourrait réussir à empêcher un tel scénario. C’est pourquoi plusieurs pays appellent les Occidentaux à « frapper un grand coup » et à nettoyer le sud de la Libye.

JOL Press : Pensez-vous qu’une intervention des puissances occidentales en Libye serait légitime ?

Antoine Basbous : La légitimité de cette intervention n’est pas un problème. Les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qui permettent à la communauté internationale de combattre le terrorisme transnational sont légion ; les puissances occidentales pourront s’appuyer sur elles. Mais le gouvernement libyen peut lui-même faire appel à la communauté internationale pour l’aider – même s’il n’a que peu de légitimité auprès de sa propre population.

JOL Press : Quelles forces étrangères pourraient mener une telle opération internationale ?
 
Antoine Basbous : La question des « candidats » pour ce genre d’opération est posée : Qui est susceptible et capable de déployer les forces nécessaires pour nettoyer le grand Sud-libyen ?

Pour l’instant, pas grand monde : Les Américains sont de moins en moins interventionnistes car ils veulent d’abord solder tous les conflits dans lesquels ils sont impliqués, après le retrait d’Irak c’est le tour de l’Afghanistan ; les Français et les Britanniques ne perçoivent pas la situation actuelle comme requérant un traitement urgent.

Il est vrai que les vecteurs de légitimité internationale qui pousseraient dans ce sens sont encore limités. Mais il est possible, voire probable, que dans les années à venir, toutes les informations et renseignements recueillis, notamment par les satellites et les drones, soient utilisés pour mener à bien des raids sur le sanctuaire terroriste du Sud-libyen.

JOL Press : Une intervention internationale en Libye ne risque-t-elle pas de déstabiliser encore plus le pays ?
 
Antoine Basbous : La déconnexion géographique et politique entre Tripoli et le sud de la Libye est telle que le fragile processus de reconstruction de l’Etat ne devrait pas être affecté. Mais il est évident que les « cousins » des terroristes du grand sud, qui sont également présents dans le nord, feront tout pour qu’il n’y ait pas d’opération internationale de ce genre. Pour autant, le jour où la décision d’intervenir sera prise, l’opération aura lieu, quoiqu’il advienne.

JOL Press : Cette intervention est-elle envisageable dans les mois qui arrivent ?
 
Antoine Basbous : Aujourd’hui, une telle campagne n’est pas d’actualité parce que l’opinion publique occidentale n’est pas sensibilisée aux contingences à l’œuvre dans cette région. Les états-majors le sont, mais ils estiment qu’une telle intervention doit être justifiée auprès de l’opinion publique pour être soutenue par elle. Aucun événement majeur n’a eu lieu, comme ce fut le cas, par exemple, lors de la prise de plusieurs villes au nord du Mali par des djihadistes, l’an passé. Pour l’heure, les groupes terroristes se préparent, se structurent et se renforcent. Mais ils restent surveillés, aussi bien que le jour où ils tenteront de passer à l’action, les mesures nécessaires seront prises.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Antoine Basbous est un politologue franco-libanais travaillant en France, spécialiste du monde arabe et de l'islam. Il dirige actuellement l'Observatoire des pays arabes (OPA), un cabinet de conseil spécialisé dans l'Afrique du Nord, le Proche-Orient et le Golfe.
 

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OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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