02/09/2005 Texte

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Après l'adoption du projet de la nouvelle Constitution

Une impasse totale et une décomposition prévisible

Malgré l'adoption au forceps du projet de la nouvelle constitution, l'avenir de l'Irak s'annonce très sombre. Ce pays risque fort de devenir, rapidement, la plate-forme qui exportera le chaos dans la région et qui servira de sanctuaire à l'organisation d'al-Qaida et de base arrière à ses opérations, y compris en Europe.

Que la Constitution soit adoptée ou qu'elle soit repoussée par les Irakiens lors du référendum du 15 octobre, tous les ingrédients de la guerre civile et de l'éclatement du pays sont réunis : l'absence de toute culture démocratique ; le grave déficit des forces de modernité laïque et de progrès qui auraient pu transcender les communautés et les ethnies ; le non-respect des minorités ; la soif de revanche chez les victimes de Saddam, due à sa gouvernance criminelle et aux contentieux cumulés entre les trois principales composantes du pays (chiite, sunnite, kurde) ; les ingérences étrangères, notamment iraniennes et syriennes, destinées à mettre en échec les plans américains...

Dès la chute de Bagdad, Washington avait commis un nombre incalculable d'erreurs. L'Administration Bush a été aveuglée par les considérations idéologiques qui n'avaient aucune prise avec la réalité irakienne. Et quand bien même les experts du Département d'Etat mettaient en garde contre les lendemains incertains après la chute de Saddam, leurs arguments avaient été balayés d'un revers de main. Nonobstant ce cumul de fautes graves, il n'est pas acquis que l'Irak, au stade actuel de ses traumatismes, ait pu rester uni sans l'instauration d'un nouveau pouvoir autoritaire. A moins que l'opinion publique américaine ait mandaté l'administration de déployer 600 000 soldats en Irak (au lieu de 140 000) pour un quart de siècle, en supportant les pertes humaines et les conséquences financières d'une telle occupation. Or, il n'en est rien.

Quand on examine les forces politiques les plus représentatives de l'après-Saddam, on ne peut que constater le renforcement des formations extrémistes et la marginalisation des forces du progrès et de la modernité. Dommage que les partis laïcs et trans-communautaires soient si peu présents et influents.

Chez les chiites on retrouve deux partis islamistes dominants qui forment la principale structure du gouvernement actuel (l'ASRII et Al-Dawaa), qui sont très liés à Téhéran. Leurs dirigeants et leurs cadres y avaient été exilés pendant plus de vingt ans, aux frais de la mollarchie. Leurs milices ont été entraînées par les Gardiens de la Révolution iranienne. Ils ont des «dettes» colossales à l'égard de Téhéran et des comptes à régler avec les sunnites qui ont abusivement gouverné le pays.

Le paysage politique sunnite est lui aussi partagé entre deux courants extrémistes : les nostalgiques du Baas qui osent encore se réclamer du Parti de Saddam et se battent pour le pérenniser ; et les formations islamistes engagées sous la bannière de Zarkaoui, l'ambassadeur de Ben Laden en Irak. Quoiqu'il en soit, George Bush inscrit sa politique irakienne dans une dynamique de désengagement progressif, avec le souci d'éviter que cela ne s'apparente à une cuisante défaite ou à une retraite dans le déshonneur. Les prémices de ce mouvement devraient se concrétiser avant les élections sénatoriales de novembre 2006. Ce qui débouchera immanquablement sur l'éclatement du pays.

L'onde de choc créée par les nouveaux pouvoirs chiite et kurde en Irak donnerait des idées et des ailes aux minorités, particulièrement chiites dans la région. Les pressions américaines pousseraient les régimes autoritaires à lâcher du lest. Ce qui ouvrirait la porte à la révision des tracés des frontières de plusieurs pays, pour coller aux nouvelles réalités.

L'invasion américaine a conduit à l'opposé des objectifs affichés au départ. Où en sommes-nous de la démocratisation de l'ancienne Mésopotamie qui devait servir de modèle pour les pays de la région ? Où en sommes-nous du démantèlement de l'islamisme, dont le fief se trouvait en Afghanistan et en Arabie plutôt qu'en Irak au moment du 11 septembre ? Qu'est devenu l'objectif de mise en valeur des deuxièmes réserves mondiales de pétrole, pour se libérer de la contrainte énergétique saoudienne et faire baisser les prix ?

Quand à l'islamisme en Irak, il ne fait que prospérer dans ses deux versions sunnites et chiites. Les deux communautés sont engagées dans un choc frontal entre elles. Il n'y a pas eu un seul pèlerinage chiite qui n'ait pas été attaqué par Zarkaoui ou ses filiales terroristes, lequel qualifie les chiites d'«hérétiques».

Le notable effet imputable à l'intervention américaine dans la «fourmilière» moyen-orientale est qu'elle a profondément altéré «l'ordre arabe» sclérosé... Aussi, le renoncement de pays, telle la Libye, à son programme nucléaire est un fait positif, ou encore l'expulsion de l'armée syrienne du Liban. En revanche, l'enlisement des Américains en Irak permet à l'Iran de défier la communauté internationale, sans risquer le «bâton» américain, trop occupé par la guérilla irakienne. Et ce, au moment où les armées occidentales ont changé de doctrine privilégiant la haute technologie au détriment des recrutements de fantassins en nombre !

En se penchant sur leur avenir, les Irakiens doivent maudire la vague de nationalisme arabe qui s'était emparée des pays de la région au lendemain de leur indépendance. Ce nationalisme signe, en Irak, l'une de ses plus cuisantes défaites. Les régimes «nationalistes» avaient perdu la bataille de la Palestine, celle des libertés, qu'ils ont confisquées au nom de la lutte sacrée pour la cause palestinienne. Comme ils ont perdu la bataille du développement. Les «minorités» ethniques, intellectuelles ou religieuses avaient été réprimées sans états d'âme. La tempête qui souffle sur l'Irak sanctionne aussi l'ultime échec du nationalisme arabe qui a réussi un seul «exploit» : celui d'instaurer des régimes autoritaires parfois dynastiques qui ont duré si longtemps.

© Le Figaro, 2005. Droits de reproduction et de diffusion réservés

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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