Sommet de la Ligue arabe: rêves d'unité et divisions insurmontables
Réunis au Koweït mardi et mercredi, les membres de la Ligue des États arabes ont tenu la 25ème session du Sommet arabe. Tensions entre les pays du Golfe, enlisement du conflit syrien, statut de l’État d’Israël, volonté du président tunisien de créer une Union arabe inspirée de l’Union européenne... Un certain nombre de questions ont été abordées lors de ce sommet qui, selon le politologue Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes, a été tout sauf une démonstration d'unité pour une organisation dont les membres peinent à régler leurs propres divisions.
JOL Press : Le sommet de la Ligue des États arabes s’est tenu, mardi 25 et mercredi 26 mars, au Koweït. Quel est le poids de cette Ligue sur la scène internationale ?
Antoine Basbous : C’est un club qui est totalement périmé. La Ligue sert un peu de cache-misère pour les dirigeants arabes, et leur permet de masquer leur impuissance derrière une structure panarabe qui n’a cependant aucune efficacité. Les chefs d’États arabes n’étaient d’ailleurs pas tous présents lors de ce sommet, certains sont arrivés en retard, d’autres sont partis avant la fin du sommet, et d’autres encore ne sont pas en mesure de se déplacer car ils sont trop malades, et enfin certains snobent tout simplement le sommet. C’est un peu une institution cache-misère des difficultés du monde arabe. Ses décisions ne sont jamais suivies d’effet. S’il y a une impuissance par rapport à une crise ou une cause, comme la cause palestinienne par exemple, au lieu que chaque État reconnaisse sa responsabilité, tous les États vont déposer leur responsabilité dans le pot commun pourri de la Ligue arabe... En poussant l’image jusqu’au bout, on pourrait dire que « la Ligue arabe est morte, mais que son faire-part n’a pas encore été publié » !
JOL Press : Le président tunisien Moncef Marzouki a appelé les États arabes à moderniser les moyens d’action de la Ligue et à s’inspirer du modèle de l’Union européenne et de l’Union africaine afin de créer une « Union arabe ». Un tel projet est-il envisageable ?
Antoine Basbous : L’Union africaine n’est ni un modèle de vertu, ni un modèle d’efficacité. L’Union européenne peut représenter un objectif ambitieux à atteindre pour les Arabes à l'échelle d'une génération. Même si elle n’est pas un modèle irréprochable : c’est d’abord un marché commun et une monnaie commune qui réunissent les 28 États membres. Ces deux unions doivent également faire face à une multiplicité de langues qui ne facilite pas la compréhension. La Ligue arabe aurait pu avoir plus d’unité puisque ses membres parlent la même langue, ont des aspirations identiques et peuvent être complémentaires entre les richesses du sol ou du sous-sol, mais ce n’est pas le cas. Le monde arabe ne partage pas de valeurs supranationales ; il est divisé, et chaque pays arabe est déstructuré. Il y a déjà beaucoup de difficultés à réunir les Irakiens entre eux, de même que les Syriens, les Yéménites, les Palestiniens ou les Égyptiens. Chaque pays a des difficultés majeures en son sein (pas d’État de droit, régimes souvent totalitaires...). De ce fait, les pays arabes sont faibles de l’intérieur, dans leurs propres structures, en plus d’être divisés entre eux.
JOL Press : Le 5 mars dernier, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahrein ont rappelé leurs ambassadeurs au Qatar, critiquant le soutien du Qatar aux Frères musulmans et l’ingérence du pays dans leurs affaires nationales. Le Qatar risque-t-il d’être isolé dans la région ?
Antoine Basbous : Le Qatar risque l’isolement d’autant plus qu’il joue un peu au-dessus de ses capacités naturelles. Cet émirat, qui compte environ 250 000 d’habitants, doit faire face aux plus grands pays arabes comme l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. Si ces pays décident d’imposer des sanctions au Qatar, il pourrait être mis en difficulté dans la mesure où ses voisins pourraient lui couper les frontières terrestres, aériennes, et maritimes. Se rendre à Doha depuis l’Europe prendrait une heure de plus par avion pour pouvoir survoler des espaces qui ne soient pas fermés. Le Qatar dispose cependant de quelques atouts : ses richesses, son parti-pris au profit du courant des Frères musulmans, son alliance avec le sultanat d’Oman qui ne veut pas d’une hégémonie saoudienne. Il pourrait également basculer dans le camp iranien. Donc la tension est réelle, les sanctions peuvent s’aggraver, mais le Qatar pourrait arrondir les angles pour ne pas subir un embargo ou un blocus de ses voisins.
JOL Press : Les chefs d’Etats arabes ont refusé, lors de ce sommet, de reconnaître Israël comme un « État juif ». Pourquoi Benjamin Netanyahou fait de cette revendication une condition sine qua non d’un accord de paix ?
Antoine Basbous : Israël a toujours eu besoin d’engranger des acquis sans jamais lâcher quoi que ce soit. Cela permet aux chefs d’État arabes d’apparaître aux yeux de leur opinion publique comme étant des « résistants » qui disent « non ». C’est un levier censé améliorer le regard de l’opinion publique arabe par rapport à l’action des dirigeants.
JOL Press : L’opposition syrienne a réclamé lors de ce sommet des armes sophistiquées, et l’Arabie saoudite a accusé la communauté internationale d’avoir lâché les rebelles en Syrie. Comment évoluent les rapports de force sur le terrain syrien ?
Antoine Basbous : En Syrie, le rapport des forces atteste d’un enlisement. Il y a une guerre d’usure qui s’installe. Le régime avec ses alliés russes et iraniens et toute l’internationale du djihadisme chiite permettent à Assad de tenir le coup. Mais l’opposition, qui représente une partie très importante de la population syrienne, n’a pas le même soutien, ne s’appuie pas sur un axe fort et déterminé comme celui de l’alliance chiito-russe qui soutient Bachar al-Assad. Barack Obama et les Occidentaux restent apathiques ; les Arabes n’ont pas pris leurs responsabilités pour s’émanciper de Washington et agir de façon indépendante, efficace et structurée.
L’opposition, qui dispose d’alliés rivaux, déstructurés, s’inscrit dans une guerre d’usure. Elle perd des places fortes mais elle en gagne aussi. Elle a perdu la semaine dernière deux places fortes aux frontières du Liban, elle a gagné il y a trois jours d’autres points stratégiques près de la frontière turque. Actuellement, personne n’a les capacités de gagner en Syrie.
Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press
(cliquez ici pour voir l'original)
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Antoine Basbous est un politologue franco-libanais travaillant en France, spécialiste du monde arabe et de l'islam. Il dirige actuellement l'Observatoire des pays arabes (OPA), un cabinet de conseil spécialisé dans l'Afrique du Nord, le Proche-Orient et le Golfe.