Vacance présidentielle au Liban: qui gouverne?
Entretien avec Antoine Basbous, politologue franco-libanais, directeur de l’Observatoire des pays arabes.
Le Parlement libanais, chargé d’élire le président de la République, n’a pas réussi à se mettre d’accord avant le 25 mai, jour où les fonctions du chef d’État Michel Sleimane ont officiellement pris fin. Au Liban, pays multiconfessionnel où deux coalitions composées de multiples partis se font face, trouver un consensus n’est pas chose facile. Les jeux d’alliances avec les puissances voisines compliquent encore plus la tâche.
JOL Press : Le Liban est à nouveau sans président depuis dimanche 25 mai. Pourquoi les différentes coalitions n’ont-elles pas réussi à trouver un consensus sur le successeur de Michel Sleimane ?
Antoine Basbous : Ce vide du pouvoir reflète la polarisation de la scène politique libanaise. Une partie est menée par le Hezbollah et ses alliés, qui veulent un président « à leur main », c’est-à-dire qui soutienne l’intervention du Hezbollah en Syrie, cobelligérant aux côtés de Bachar al-Assad, et qui s’aligne sur l’Iran. Une autre partie, plus proche d’un axe plutôt pro-occidental et pro-pays du Golfe, n’est pas d’accord avec cette politique et cherche à sauvegarder certaines marges de manœuvre pour le Liban.
JOL Press : Ce n’est pas la première fois que le pays connaît un vide présidentiel. L’organisation confessionnelle de la scène politique libanaise est-elle propice à cela ?
Antoine Basbous : Le système confessionnel libanais reste un moindre mal parmi tout ce qui peut exister dans la région. Dans les pays voisins comme la Syrie, on a affaire à des dictatures qui se sont souvent mises en place au profit d’une communauté, d’une minorité ou d’un clan. Au Liban, le système confessionnel fait au moins en sorte que toutes les communautés participent au pouvoir et c’est finalement là où il y a le moins de discriminations envers les minorités, même si les communautés ne sont pas représentées par les plus talentueux des leurs. Un système dominateur ne peut donc pas s’exercer de façon totalitaire envers les autres, comme c’est le cas du parti Baas en Syrie. Au Liban, le pouvoir reste en partage et, quand la polarisation atteint un point très avancé, cela provoque une paralysie du pouvoir, comme cela a déjà été le cas à plusieurs reprises.
JOL Press : L’absence d’un président chrétien* à la tête de l’État ne risque-t-elle pas néanmoins de déstabiliser la communauté chrétienne du Liban ?
Antoine Basbous : À cause de ce vide, la communauté chrétienne n’est en effet plus représentée par cette instance présidentielle. Elle peut donc se sentir privée de l’exercice d’une partie du pouvoir qui lui était due. Mais la communauté chrétienne est loin d’être unie sur la scène politique. Il y a des chrétiens qui sont alignés sur la Syrie, le Hezbollah et l’Iran, et d’autres qui sont plus patriotes et rejettent cet alignement, mais sont coupables d'une certaine allégeance envers les Occidentaux et les pays arabes du Golfe.
JOL Press : À qui « profite » cette absence de pouvoir à la tête de l’État ?
Antoine Basbous : Cela profite aux forces du fait accompli, c’est-à-dire au Hezbollah qui, lui, exerce un maillage très serré du terrain, contrôle les pôles les plus centraux et névralgiques de l’administration, de la défense, de la sécurité et du renseignement. Il y a un « État parallèle » dirigé par le Hezbollah, lequel exploite à son profit l’absence d’une autorité présidentielle.
JOL Press : Pour certains observateurs, seule une entente entre l’Arabie saoudite et l’Iran pourrait permettre l’élection d’un président libanais. Dans quelle mesure la politique régionale a-t-elle une influence sur le jeu politique libanais ?
Antoine Basbous : La politique régionale a une influence certaine sur le jeu politique libanais. L’Iran est très autonome alors que l’Arabie saoudite tient compte de l’avis des alliés occidentaux. Une entente entre les deux ne peut que refléter des équilibres plus internationaux. Le dernier gouvernement a libanais a pu voir le jour après onze mois de vide, et grâce à une entente entre ces deux pays. On pourrait maintenant imaginer qu’après la réélection de Bachar al-Assad – qui ne fait pas l’ombre d’un doute – le Liban pourrait s’offrir un président.
JOL Press : Aujourd’hui, qui gouverne concrètement le pays ?
Antoine Basbous : C’est un gouvernement qui prend en charge les prérogatives du président de la République, mais cette situation est bancale et ne peut pas durer. Elle n’est en effet pas inscrite dans la Constitution et ne reflète pas l’esprit institutionnel du Liban indépendant, dans lequel il y a normalement une répartition des charges entre les différentes communautés. Pour les affaires stratégiques, elles sont déjà prises en charge par le Hezbollah, qui est le bras armé de l’Iran en Méditerranée.
Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press
* Selon la Constitution libanaise, le président doit être issu de la minorité chrétienne maronite.
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