Egypte. «L'abstention, un avertissement pour Sissi»
Antoine Basbous est politologue et spécialiste du monde arabe, il dirige l'Observatoire des Pays Arabes (OPA) à Paris.
96 % des voix pour le maréchal Sissi. C'est une caricature ?
Le score doit être relativisé car il y a moins de 50 % de votants. Cette abstention est un avertissement à Sissi car il ne lui laisse pas d'état de grâce. Les gens ont pensé que ce n'était pas la peine d'aller voter, que l'élection était jouée d'avance. Et pourtant tout a été fait pour que l'électeur se déplace, la campagne dans les médias, les transports en commun gratuits, une journée fériée… et même le rajout d'une troisième journée de vote non prévue. Bien sûr, il a fait aussi très chaud au Caire et les gens économisent à la fois leur argent et leur énergie. Malgré tout, ce très fort taux d'abstention, c'est un vrai avertissement…
Le challenger Sabbahi fait un score confidentiel…
Les Egyptiens ont pensé que c'était plié, ce qui explique son score si bas alors qu'en 2012, Hamdeen Sabbahi était arrivé en troisième position avec un bon score (ndlr : 20,72 %). Ils n'étaient pas motivés pour aller voter. A noter que l'appel des salafistes, l'autre branche de l'Islam hostile aux Frères musulmans, pour voter Sissi n'a pas non plus été entendu, vu le taux d'abstention.
Peut-on parler de grand bond en arrière ?
Tout cela n'augure pas de bonnes choses pour la région. Il y a une répression gratuite. Journalistes enfermés sans que l'on connaisse les charges retenues contre eux, société civile réprimée, mouvements qui ont contribué à l'élection de Morsi pourchassés… Il y a une tentation du retour en arrière, en verrouillant le système au profit des militaires, comme les Frères musulmans, l'avaient fait à leur propre profit.
Mais quel peut être l'avenir immédiat de l'Egypte ?
Sissi a deux gros chantiers devant lui, l'économie et la sécurité. Redresser l'économie pour assurer un peu de bien-être. Assurer la sécurité pour permettre le retour des investissements et le retour des touristes. S'il réussit sur ces deux points, il se sera délivré de ses promesses et son autoritarisme sera moins contesté…
Et la démocratie, les libertés alors ?
Il a dit que ce ne serait pas forcément pour tout de suite. Cela fait 60 ans que les Egyptiens ne sont plus habitués aux libertés… Quelle démocratie avec 35 à 40 % de la population analphabète ? Quelle démocratie quand un mufti promet l'enfer aux personnes qui voteraient pour tel candidat ? Quelle démocratie, quand on peut acheter le vote de tout un quartier avec un panier de vivre ? Il faut se poser la question.
L'éducation devrait alors aussi être un chantier prioritaire…
L'éducation, l'enseignement, c'est un chantier pour faire vivre la démocratie.
Recueilli par D.H.
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