Syrie: Comment Bachar al-Assad tire profit de la montée en puissance des djihadistes
Mis au ban de la communauté internationale, Bachar al-Assad tente aujourd’hui de lisser son image de dictateur en se présentant comme un moindre mal face aux djihadistes de l’EIIL en Syrie. Une opération de communication risquée.
Il entame son troisième mandat présidentiel en voulant faire mentir les Occidentaux qui avaient parié sur son "départ" rapide. Bachar al-Assad, l’indéboulonnable président syrien, a prêté serment, mercredi 16 juillet, dans son palais de Damas, en présence de plus d’un millier d’invités.
Mais l’autocrate de 48 ans est à la tête d'un pays exsangue, ravagé par une guerre depuis trois ans et aujourd’hui menacé par l’avancée des djihadistes de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). "Il est artificiellement maintenu en vie", explique Antoine Basbous, le président de l’Observatoire des Pays Arabes. "Il ne survit que grâce au soutien de l’Iran, de la Russie et du Hezbollah qui se battent pour lui, l’arment et le financent".
Et pourtant, Bachar al-Assad possède un atout non négligeable sur lequel il semble beaucoup miser : sa nouvelle image de "sauveur". La montée en puissance des extrémistes sunnites effraie la communauté internationale et s’avère être un atout pour le président syrien. "Depuis le temps qu’il cherche à dénigrer les opposants démocrates qu’il qualifie à tout va de 'terroristes'… Il peut enfin se présenter comme un rempart face aux extrémistes de daech [EIIL, en arabe]", analyse Antoine Basbous, qui ajoute : "C’est pour lui une formidable opération de communication".
L’EIIL financé par le régime Assad ?
Depuis la spectaculaire avancée de l’EIIL en Irak, même Barack Obama a détourné les yeux des massacres d’Assad. Pour Antoine Basbous, cette montée en puissance de l’EIIL ne doit rien au hasard. "Il est évident que l’EIIL est financé par le pouvoir syrien en place. Tout cela fait partie du plan d’Assad : il s’est offert la pire des oppositions pour polir son image, se rendre sympathique […]. Il s’est offert le service de 'barbus' pour balayer l’opposition démocratique."
Selon l'expert, cette stratégie s'est jusqu'à présent révélée gagnante. "Pour la communauté internationale, les priorités sont comme des incendies : il faut éteindre celui qui est le plus récent". Et à en croire Andrew Tabler, un des membres de l'Institut de Washington pour la politique au Proche-Orient, un think tank très influent auprès des autorités américaines, l’incendie le plus actuel s’appelle "EIIL". "Enrayer la propagation de l’EIIL et d'autres groupes djihadistes dans la région est maintenant l’objectif de la Maison Blanche", a-t-il indiqué dans le "Washington Post". Selon lui, "le nouveau mandat du président syrien est aujourd’hui considéré comme un problème moins prioritaire".
"Assad dans une situation favorable"
Une position dénoncée évidemment par les opposants syriens. "Il faut avouer qu’Assad a réussi dans une large mesure à se mettre dans une situation favorable par rapport à l’État islamique (EIIL) et à l’extrémisme", confesse Samir Nachar, un membre de la Coalition de l’opposition syrienne. Selon "Le Figaro", le départ du président paraît même "moins urgent". Les Occidentaux seraient-ils en train de changer leur fusil d’épaule ? Au bout de trois ans de conflit, le président syrien serait-il finalement vu comme un moindre mal face aux djihadistes ?
Bachar al-Assad, en tous cas, semble convaincu par cette hypothèse. Et s’en sert pour montrer ses muscles – et se refaire une respectabilité aux yeux du monde. "Bientôt, nous verrons les pays arabes, régionaux et occidentaux, qui ont appuyé le terrorisme, payer eux aussi très cher", a-t-il déclaré lors de son investiture. "[Mon] régime n'arrêtera pas de combattre le terrorisme jusqu'à ce que la sécurité soit rétablie à chaque coin de la Syrie", a-t-il ajouté.
Assad renforcé par les luttes intestines inter-rebelles
Et sur le terrain militaire, Bachar al-Assad peut encore une fois se targuer d’être gagnant - grâce notamment à l’affaiblissement considérable des rebelles. En quelques mois, les insurgés de l'ASL ont perdu bastion après bastion. Mais surtout, leurs ennemis se sont multipliés. Aux troupes régulières se sont ajoutés les djihadistes de l'EIIL - dont l'objectif d'un État islamique diffère des ambitions démocratiques de l'ASL. Toutes ces luttes intestines épuisent les forces rebelles et renforcent le pouvoir en place.
Reste à savoir si Bachar al-Assad profitera sur le long terme de cette "armée d’extrémistes" à ses portes. "La Syrie est partie pour au moins une décennie de guerre, une guerre d’usure avec des fronts qui bougent, qui se déplacent, conclut Antoine Basbous. Bachar al-Assad a créé des diables mais va-t-il pouvoir les gérer ?"
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