Daech a commis un faux pas qui rend service aux dirigeants jordaniens
Après les représailles de la Jordanie, quels sont les risques de surenchère et de déstabilisation de la région ?
L'Etat islamique - Daech - voulait retourner l'opinion publique jordanienne contre le roi, qui s'est allié avec les Etats-Unis. Or, c'est l'inverse qui vient de se produire. L'atrocité de la mise à mort a fait basculer la population, y compris les franges islamistes, dans le sillage de la monarchie. Daech a commis un faux pas et a, de cette manière, rendu service aux dirigeants du Royaume hachémite. Cela montre qu'ils ont perdu le sens des réalités.
Au même moment, ils subissent des revers en Irak ainsi qu'en Syrie où, après Kobané, les Kurdes reprennent progressivement de nouveaux villages. Daech est aujourd'hui sur la défensive. Et n'est pas à l'abri d'une deuxième vague de représailles menée par Amman. Les Jordaniens sont très bien renseignés et pourraient s'en prendre à une cible à plus forte valeur ajoutée, en Irak comme en Syrie. Je pense par exemple à un QG de Daech avec quelques dirigeants à l'intérieur. La perspective d'un combat au sol emmené par l'armée jordanienne devient plausible. Et la population du Royaume va adhérer.
La Libye sera-t-elle le prochain terrain d'affrontements ?
Il faut bien voir que l'Etat islamique comme Al Qaida ont une présence forte en Libye, qui abrite plusieurs sanctuaires de l'une et de l'autre de ces deux organisations. La récente attaque contre le plus grand hôtel de Tripoli a été revendiquée par l'Etat islamique. Cela se passe dans un contexte marqué par la présence de deux gouvernements et de deux parlements qui se déchirent au lieu de lutter contre le terrorisme. Il faudrait un gouvernement unique qui empêche l'une et l'autre de ces organisations de pouvoir progresser. Faute de quoi, elles vont continuer à prospérer sur le terrain.
A une semaine de l'élection présidentielle, le Nigeria semble dépassé par Boko Haram. C'est le Tchad qui vient le combattre. Est-ce normal ?
Il y a une similitude entre l'armée de Jordanie et celle du Tchad. Elles sont toutes les deux très professionnelles, bien structurées et dotées de services de renseignement efficaces. L'armée tchadienne qui vient de lancer son offensive contre Boko Haram n'a pas vocation à pénétrer très loin au Nigeria. Tout comme elle ne cherche pas à éradiquer Boko Haram, mais plutôt à l'endiguer. Les autorités du Nigeria ont abandonné tout le nord du pays à l'organisation djihadiste qui s'exporte à présent vers le Cameroun et bientôt vers le Tchad. Et les autorités de N'Djamena ont bien compris le danger que cela représente pour leur pays.
Michel De Grandi, Les Echos
Antoine Basbous est l'auteur de « Le Tsunami arabe », Fayard, 2011.
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/journal20150205/lec1_monde/0204133616340-antoine-basbous-daech-a-commis-un-faux-pas-qui-rend-service-aux-dirigeants-jordaniens-1090264.php?LkERjuR0PahiXvCI.99