Syrie: Le chef de l’église maronite se rend à Damas, du pain béni pour Assad
Lundi s'est tenu à Damas un synode des églises d'Orient. Le patriarche maronite Bechara Raï a fait le déplacement à Damas, pour la deuxième fois en l'espace de deux ans. Une visite qui ne peut qu'être positive pour le régime.
Cinq patriarches d’églises d’Orient étaient réunis lundi 8 juin à Damas, à l’invitation du patriarche grec-orthodoxe Jean X Yazigi. Parmi eux le libanais Bechara Raï, influent chef de l’église maronite. Au programme : l’inauguration du nouveau siège du patriarcat orthodoxe, mais aussi et surtout le synode œcuménique annuel des patriarches se réclamant d’Antioche. Les chrétiens d’Orient constituent une mosaïque de communautés orthodoxes et catholiques et ce sommet annuel est l’occasion pour les prélats des deux Églises de parler d’une même voix.
Cette rencontre se tient généralement au Liban, mais, les cinq prélats ont décidés d’un commun accord de se réunir en Syrie, malgré le conflit et les risques encourus dans la capitale, où des attaques de roquettes et des explosions ont lieu quotidiennement. Outre le patriarche maronite Bechara Raï, étaient présents les patriarches grec-orthodoxe Jean X Yazigi, grec-catholique Grégoire III Laham, syriaque-orthodoxe Ignace Ephrem II Karim et syriaque-catholique Ignace Joseph III Younan. En se retrouvant à Damas, ils ont voulu manifester leur solidarité avec les chrétiens de Syrie, en les exhortant à ne pas perdre espoir et à rester sur leur terre ensanglantée par quatre ans de conflit.
Du pain béni pour Assad
Les cinq dignitaires ont plaidé pour un règlement politique du conflit et pour que les chrétiens ne quittent pas le pays. "Nous, les cinq patriarches orientaux, sommes là pour prier pour la paix. Nous prions pour la paix en Syrie et dans la région ; nous prions pour la conscience morte de la communauté internationale. Nous prions pour un règlement pacifique de la crise en Syrie, et pour que les Syriens, chrétiens et musulmans, restent attachés à leur terre, et pour le retour chez eux, dans la dignité, de ceux que la guerre a déplacés", ont-il ainsi déclaré. Les chrétiens de Syrie, en grande majorité des orthodoxes, représentaient avant le conflit de 2011 environ 8 % de la population, mais nombre d'entre eux ont quitté le pays à mesure qu'il s'enfonçait dans la guerre, notamment avec la montée en puissance de groupes jihadistes comme l'organisation de l’État islamique (EI).
Au-delà du fond des discussions, c’est plutôt la forme de cette réunion qui est importante et forte en symbolique. Selon Frédéric Pichon, historien spécialiste de la Syrie et des chrétiens d’Orient, "même s’il n’y a eu aucune rencontre avec des officiels du régime, tout le monde peut lire entre les lignes : le fait que ces cinq dignitaires religieux énoncent ce message de paix depuis Damas est positif pour le pouvoir syrien et renvoie à l’idée qu’il faut éviter son effondrement".
Selon Antoine Basbous, politologue, directeur de l’Observatoire des pays arabes, le déplacement du patriarche maronite n’est en outre pas anodin. "En allant à Damas, Bechara Raï participe à donner au régime syrien l’image de protecteur des minorités, que ce dernier cherche lui-même à se forger. Sa présence contribue aussi à montrer que les chrétiens peuvent encore se réunir à Damas, ce qui serait impossible si Daech [autre nom de l'EI] s’emparait de la ville", estime-t-il. Du pain béni pour le président Bachar al-Assad.
Raï marque une rupture dans les relations entre les maronites et le régime syrien
Arrivé à Damas dimanche par la route, le dignitaire maronite a visité l’hôpital français. Il s’est également rendu à la cathédrale Saint-Antoine des Maronites, dans le quartier de Bab Touma, où l’attendaient de nombreux fidèles. "Tous les jours, je suis à Damas par la prière. Je plaide sa cause partout où je vais et auprès de tous ceux que je rencontre", leur a-t-il affirmé.
Ce n’est pas la première fois que le patriarche maronite se rend à Damas. Déjà, en février 2013, il avait été accusé de soutenir le régime syrien quand il avait fait le déplacement à l’occasion de l’intronisation du patriarche melkite Yazigi. Cette visite avait défrayé la chronique au Liban, pays divisé entre partisans et détracteurs du régime syrien de Bachar al-Assad. Et pour cause : Bechara Raï, devenu patriarche en mars 2011, était le premier chef de l’église maronite à fouler le sol syrien depuis l’indépendance du Liban en 1943, rompant alors avec plusieurs décennies de tensions entre le régime et l’Église maronite.
"Le patriarche maronite a pris une initiative qui marque une rupture avec l’historique des relations entre l’église maronite et le régime des Assad", observe Antoine Basbous. "Son prédécesseur avait toujours refusé d’y aller, même en compagnie de Jean-Paul II", rappelle-t-il. En effet, Mgr Nasrallah Sfeir, qui a occupé la fonction durant 25 ans, était au Liban l’un des plus virulents opposants à Damas, et il a toujours refusé de venir en Syrie, où vit pourtant une petite communauté maronite. En signe d’opposition à la politique syrienne au pays du Cèdre, il n’avait pas hésité à boycotter la visite de Jean-Paul II en Syrie en 2001, alors même que tous les dignitaires religieux d’Orient s’étaient rendus à Damas pour l’accueillir. Malgré toutes les tentatives du pouvoir syrien pour le faire plier, le patriarcat maronite n’avait pas infléchi sa position.
Lundi, le voyage de Bechara Raï n’a essuyé que de légères critiques en comparaison à son déplacement il y a deux ans. Il faut dire que la situation a changé : l’émergence de l’EI effraie dans un Liban qui, de surcroît, n’a pas de président depuis un an. Interrogé par la presse à ce propos, le patriarche a répondu : "Il y a toujours eu des objections à ma venue en Syrie, mais nous avons trois évêchés en Syrie et je dois être auprès de mon peuple".
Amara MAKHOUL-YATIM (France24)