Accord sur le nucléaire iranien: «Les pays du Golfe ont peur…»
- L’Iran vient de conclure l’accord sur le nucléaire. Quelle est votre analyse sur le contenu et les implications de cet accord ?
C’est un grand succès pour l’Iran d’avoir normalisé sa situation et d’avoir obtenu la reconnaissance de la communauté internationale après l’épisode révolutionnaire. C’est aussi un succès technologique puisque l’Iran est un pays qui peut, en quelques mois, fabriquer sa première bombe et qui, de surcroît, investit dans les missiles, dans les drones et tout ce qui est militaire.
Il a forcé le respect de la communauté internationale à traiter avec lui, même s’il a par ailleurs fait des concessions par rapport à la surveillance de son programme. En même temps, cet accord pose des questions sur l’avenir. Est-ce que l’Iran, qui aura à disposer très vite au moins de 100 milliards de dollars, va continuer sa colonisation de pays arabes comme l’Irak, la Syrie, le Liban, le Yémen, ou préférera-t-il développer son économie ? C’est une grande question.
Est-ce que l’Iran de demain sera un pays qui accélérera son programme, presque impérial, dans la région ou bien sera-t-il celui qui investira dans le bien-être de ses citoyens. En fait, s’agit-il pour lui d’être un pays qui continuera à exporter sa révolution ou sera-t-il un acteur de paix et de stabilité ?
Ce sont les questions de demain auxquelles je n’ai pas de réponse. Toujours est-il que la République islamique est par nature islamiste et révolutionnaire, que nous sommes au deuxième successeur de Khomeini, dont la doctrine est toujours l’exportation de la révolution, le bras du régime est le général Soulieman avec ses milices chiites, des mollahs qui veulent convertir au chiisme... Bref, c’est un programme qui, considéré sous cet angle, est inquiétant et qui n’inspire pas confiance aux pays voisins, notamment aux pays sunnites.
- La signature de cet accord intervient dans un contexte régional presque apocalyptique où ses voisins, comme l’Irak et la Syrie, sont pratiquement démantelés et exposés comme nulle part ailleurs à la menace de Daech. Selon vous, qu’attend la communauté internationale de Téhéran ?
L’objet principal de cet accord est de contenir le programme nucléaire iranien pour le circonscrire dans le périmètre civil. Mais il y a forcément une implication de cette normalisation. Est-ce que l’Iran sera un facteur de stabilité et pourra participer ainsi à résoudre les crises en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen? Ou au contraire, va-t-il profiter des milliards — qui seront dégelés dès demain — qu’il va investir dans des actions de guerre et des activités subversives ? En tout cas, c’est à l’Iran de démonter quelles sont ses intentions. Son ambition était de signer un «Yalta» aux Occidentaux pour devenir la puissance reconnue dans la région. Maintenant qu’il a accédé à ce souhait, est-ce qu’il va jouer le jeu pour devenir une puissance raisonnable et non subversive ?
- Sur le plan économique, c’est quand même le retour d’un grand pays producteur de pétrole et de gaz. Ses réserves sont immenses. Quels sont, d’après vous, les changements susceptibles d’intervenir à ce niveau ?
Première réaction du marché, le baril a baissé. La normalisation de l’Iran va provoquer son retour sur le marché. Il va redevenir un pays producteur et accueillir les majors pétroliers pour exploiter son gaz et son pétrole. Et cela va être rapide sur la chute des prix. Il y a déjà 2 millions de barils par jour en surplus sur le marché. Le jour où l’Iran se mettra lui aussi à produire et à exporter, avec le surplus actuel, les pays membres de l’Opep seront appelés à gérer la nouvelle donne parce que cela va influer les prix en direction de la baisse.
- Est-ce qu’il n’est pas faux de considérer que le retour de l’Iran sur la scène internationale pourrait contrarier les intérêts de certains pays arabes comme l’Arabie Saoudite par exemple ?
Forcément, les deux rivaux du Golfe sont l’Arabie entourée des pays arabes du CCG (Conseil de coopération du Golfe, ndlr) et l’Iran. Actuellement, une confrontation extrêmement violente entre ces deux pays a lieu en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen. C’est le reflet du djihadisme internationaliste soutenu, d’une part, par l’Iran à travers les milices chiites qui se trouvent partout dans ces pays où il y a des minorités chiites, et d’autre part, par l’Arabie Saoudite qui a aussi des soutiens djihadistes mais sur lesquels elle n’a pas la main.
L’Arabie produit des djihadistes qui lui échappent contrairement à l’Iran qui, lui maîtrise les factions chiites qu’il met en place. Donc la confrontation sera importante. Les pays du Golfe ont peur de cette reconnaissance de l’Iran. Jusqu’ici, ils comptaient sur les Etats-Unis, mais aujourd’hui ce pays n’a plus le monopole des relations avec les pays arabes. En face, les Etats-unis reprennent leur relation avec l’Iran. Les Saoudiens sont inquiets de cette évolution.
Ali Benyahia (El Watan)