Syrie: "Les réfugiés, une arme politique entre les mains du régime syrien"
Pour Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes, les pays du Golfe pourraient accueillir massivement des réfugiés, mais ne le veulent pas.
Le Point.fr : La question des réfugiés syriens a été au centre de la conférence de presse du président de lundi. Quelle est l'ampleur du phénomène ?
Antoine Basbous : Pour comprendre ce qui se passe, il faut avoir des ordres de grandeur. Sur une population de 22 millions d'habitants, la Syrie est confrontée à des mouvements de population qui touchent plus de 12 millions de personnes. Huit millions d'entre elles ont été déplacées à l'intérieur de ses frontières. Quatre millions ont trouvé refuge à l'extérieur. Principalement en Turquie, au Liban, en Jordanie et en Irak. Cette question des réfugiés est devenue une arme politique entre les mains du régime syrien, car elle pèse lourd sur l'échiquier local.
Pourquoi ce déferlement n'intervient-il que maintenant, alors que la guerre civile a commencé en 2011?
C'est, en grande partie, une conséquence de la politique intérieure turque. Ce pays a vu affluer près de 2 millions de réfugiés en 5 ans. Leur présence sur ce territoire a pesé lourd dans le scrutin de juin dernier. Leur présence coûte cher à ce pays : près de 6 milliards de dollars depuis 2011. Recep Tayyip Erdogan est intervenu en Syrie : officiellement pour contrer Daesh. En réalité pour mater les Kurdes. Il veut désormais se débarrasser du maximum de réfugiés. Lorsqu'il a demandé la création d'une zone d'exclusion pour permettre aux réfugiés syriens de s'installer dans une zone démilitarisée, il s'est vu opposer un refus catégorique de Barack Obama. Il laisse aujourd'hui faire des passeurs qui agissent au vu et au su des autorités. Ces passeurs donnent leur numéro de téléphone sur les réseaux sociaux et fixent parfois le point de rendez-vous à quelques mètres seulement des commissariats. Erdogan fait payer à l'Europe le veto américain, qui traduit surtout le manque d'engagement des États-Unis sur ce dossier.
Dans les années 80, la France avait accueilli de nombreux Libanais qui fuyaient, de la même manière, une guerre civile. Peut-on comparer les deux situations ?
Pas du tout. Cela n'a rien à voir. Numériquement d'abord : le nombre de réfugiés syriens qui ont dû quitter leur pays dépasse la population totale du Liban. Par ailleurs, sociologiquement, les deux populations sont très distinctes. Les Libanais qui trouvaient refuge en Europe avaient souvent la double nationalité et un niveau social et culturel leur permettant de s'insérer facilement. Ce n'est pas forcément le cas avec les Syriens qui arrivent.
Au Liban justement, où l'on dénombre plus de 1,5 million de déplacés. Leur présence menace-t-elle la stabilité du pays ?
C'est un risque d'autant plus grand que le Liban traverse une crise existentielle. La présidence du pays est vacante. L'armée et la police dirigées par des chefs intérimaires. Le Parlement a prorogé son mandat et le gouvernement est bancal. Cela s'illustre très simplement par le fait, par exemple, que les ordures ne sont plus ramassées depuis deux mois !
Un milliardaire égyptien, Naguib Sawiris, a proposé d'acheter une île à la Grèce pour y installer des migrants. Mais que font les pétromonarchies du Golfe ?
Cette idée d'île ne résoudra rien. Il s'agirait d'un camp d'internement à ciel ouvert. C'est vrai que les pays du Golfe ont de l'espace et des moyens pour accueillir ces populations exilées. Mais il leur manque l'envie. Leurs dirigeants ont sûrement peur de l'insécurité que provoquerait l'afflux de milliers de réfugiés. Ils appréhendent d'autant plus leur venue qu'ils craignent que ces Syriens ne leur reprochent d'avoir inefficacement financé la guérilla qui n'a pas réussi à renverser le régime qu'ils honnissent.
Propos recueillis par Baudouin Eschapasse (Le Point)