SYRIE: Pourquoi l'afflux de migrants est vertigineux
Crise migratoireLes conditions dans les camps de réfugiés dans les pays voisins de la Syrie sont «épouvantables». Surpopulation et conditions difficiles dans les camps expliquent notamment l'afflux vertigineux actuel des réfugiés vers l'Europe, alors que la guerre a éclaté il y a 4 ans en Syrie. Recrudescence de la violence dans la région, agenda électoral en Turquie et explosion du business des passeurs sont d'autres raisons, selon plusieurs experts.
Les conditions dans les camps de réfugiés dans les pays voisins de la Syrie sont «épouvantables», observe Vincent Chetail, directeur du Centre des migrations globales à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève.
Une part importante des réfugiés dans les pays voisins ne supporte plus ces conditions et décide de se déplacer encore une fois, ajoute Robin Stunzi, doctorant au Centre de droit des migrations de l'Université de Neuchâtel. «Ce sont souvent ceux qui ont les moyens financiers, mais aussi le capital culturel et social».
Moins d'argent
Étienne Piguet, vice-président de la Commission fédérale des migrations, invoque pour sa part les réductions budgétaires d'assistance internationale. «Il y a eu des insuffisances importantes, qui ont dégradé les conditions de vie. Ça pousse au départ».
La guerre en Syrie, qui perdure, explique aussi ces départs massifs, alors que la population avait dans un premier temps gardé espoir que la situation s'améliore. Plus particulièrement, «le pourrissement de la situation, (...) et le durcissement des politiques des Etats voisins», selon Vincent Chetail.
La majorité des réfugiés se trouve au Liban, en Jordanie et en Turquie. Mais, depuis janvier, le contrôle aux frontières a été renforcé, des réfugiés ont été refoulés, explique-t-il.
Crise partie pour durer
Cet afflux n'est pas une surprise pour François Gemenne, chercheur en sciences politiques à l'Université de Liège. «Nous avons laissé le pays à l'abandon. Sur les 4 millions de réfugiés syriens, l'Europe n'en a pas accueilli assez», ajoute l'expert en migrations, alors que plus de la moitié de la population syrienne est déplacée actuellement, pas seulement à l'extérieur des frontières.
L'arrivée massive de réfugiés n'est «pas quelque chose qui va s'arrêter demain. Beaucoup de migrants sont prêts à tenter la traversée» de la Méditerranée, ajoute François Gemenne. Pourtant, pas de bouleversements à prévoir en Europe. «Cela représente 1 réfugié pour 1000 habitants», précise-t-il. «Ce sont des questions symboliques et nationalistes», qui reposent sur la peur des citoyens.
Pour Antoine Basbous, politologue et directeur de l'Observatoire des pays arabes, le rôle de la Turquie peut expliquer l'afflux de réfugiés. Il évoque même une stratégie liée aux législatives anticipées du 1er novembre. Le président turc Erdogan ayant perdu des voix aux dernières législatives dans ces régions frontières, il a cherché à instrumentaliser la question des réfugiés.
En cherchant à «soulager les électeurs dans le sud-ouest en leur disant: 'vous avez peiné sous le poids des réfugiés, je vous en ai débarrassé'», M. Erdogan a ouvert les vannes, analyse Antoine Basbous. «D'ici au 1er novembre, Erdogan aura vidé une partie des camps, et montré à la population qu'il peut emmerder» le monde, ajoute-t-il.
Un message qui s'adresse à l'Europe et aux États-Unis qu'il accuse de ne pas avoir suffisamment soutenu son pays en l'aidant à instaurer une zone d'exclusion aérienne en Syrie dans laquelle l'aviation de Bachar el-Assad ne pourra pas bombarder les réfugiés.
Business des passeurs
Les passeurs ont affiché toutes les informations sur les réseaux sociaux, avec leurs numéros turcs, explique M. Basbous. «C'est: premier arrivé, premier servi». Ainsi, ils se précipitent.
Pour François Gemenne, le pouvoir est actuellement entre les mains des passeurs et trafiquants. Leur business explose. «Ce sont eux qui décident où et quand arrivent les migrants», indique-t-il.