Pèlerin : Résister, lutter contre Daech
Après les attentats de Paris, la France a lancé des ripostes militaires contre Daech au Proche-Orient. Pour réussir, elles nécessitent à la fois une large coalition avec les pays de la région et une offensive diplomatique.
L’une des clés de l’explosion de violence qui a ensanglanté Paris le 13 novembre 2015 se trouve en Syrie. Dans un communiqué diffusé le lendemain, le groupe État islamique (EI, ou Daech) explique viser « la France et ceux qui suivent sa voie » pour « avoir pris la tête de la croisade (…) et frappé les musulmans en terre du califat avec leurs avions ».
Une allusion aux bombardements aériens effectués par la France – dans le cadre d’une coalition de pays alliés aux États-Unis – contre les positions de l’EI en Irak, depuis plus d’un an, et en Syrie, depuis septembre dernier.
Le 14 novembre 2015, François Hollande a promis d’agir « dans le cadre du droit, avec tous les moyens qui conviennent et sur tous les terrains, intérieurs comme extérieurs, en concertation avec nos alliés qui, eux-mêmes, sont visés par cette menace terroriste ». Les déclarations martiales se sont multipliées, dans la majorité comme dans l’opposition.
Comme prévu de longue date, le porte-avions Charles-de-Gaulle a quitté Toulon le 18 novembre pour arriver dans le golfe arabo-persique mi-décembre. Ses 18 Rafale et 8 Super-Étendard s’ajouteront aux 6 Mirage 2000 déjà stationnés en Jordanie et aux 6 Rafale basés à Abu Dhabi (Émirats arabes unis) dans le cadre de l’opération Chammal.
Cependant, tout le monde admet que des bombardements aériens, comme ceux effectués au soir du 15 novembre sur Rakka, dans l’est de la Syrie, ne suffiront pas pour vaincre Daech. Certains dirigeants politiques français, comme l’ancien Premier ministre François Fillon, demandent donc l’envoi de troupes au sol, si possible « conduites par les pays de la région ».
Mathieu Guidère (auteur de Terreur - La nouvelle ère, Éd. Autrement, 256 p. ; 17 €), professeur d’islamologie à l’université de Toulouse, met en garde contre tout aventurisme : "Comme pour l’Irak en 2003 ou la Libye en 2011, les interventions occidentales et russes en Syrie ne font que fédérer les groupes rivaux contre nous, accélérer le recrutement de candidats européens et russes au djihad, et aggravent la menace terroriste chez nous". Le contraire de l’effet recherché…
De toute façon, « nul ne veut s’engager au sol, observe Antoine Basbous (auteur du Tsunami arabe, Éd. Fayard, 384 p. ; 19,30 €), fondateur de l’Observatoire des pays arabes. La France n’en a pas la capacité militaire et aurait du mal à justifier ces sacrifices devant son opinion ; les États-Unis sont échaudés par l’échec de leurs interventions en Afghanistan et en Irak ; l’Iran intervient déjà aux côtés de Bachar el-Assad, notamment avec ses Pasdarans (“Gardiens de la révolution islamique”, NDLR) et la milice chiite Hezbollah, au risque de pousser davantage de Syriens sunnites dans les bras de l’EI ; les pays sunnites, comme l’Arabie saoudite ou la Jordanie, n’osent pas tester la fidélité de leurs propres troupes face à des combattants de l’EI sunnites comme elles…
Quant aux Kurdes, seuls à avoir su résister à Daech en Irak comme en Syrie, ils se contenteront de défendre les territoires de leur futur État. » Dans cette perspective, la récente reconquête de Sinjar, en Irak, suffit presque à parachever leur objectif.
Nécessité d’une coalition large et « sincère »
Au fond, seule une large coalition aurait une chance de venir à bout de Daech… à condition qu’elle soit « sincère », insiste Antoine Basbous. Pour lui, « il faudrait que la Turquie joue franc jeu après avoir fait preuve de complaisance pour l’EI, au nom de leur détestation commune pour le régime de Bachar el-Assad. Et que l’Arabie saoudite partage cet objectif avec son grand ennemi, l’Iran ». Impossible ? Peut-être pas. L’EI s’étant retourné contre les Saoudiens et les Turcs, qui l’avaient soutenu ou toléré un temps, il n’a plus, désormais, que des ennemis.
D’où l’intérêt des grandes manœuvres diplomatiques du week-end dernier. Une vingtaine de pays et d’organisations internationales se sont réunis le 14 novembre à Vienne, en Autriche, parmi lesquels les États-Unis, la France, la Russie, mais aussi les « parrains » de la région, l’Iran et l’Arabie saoudite. Ensemble, ils ont rédigé une « feuille de route » en vue d’une transition politique en Syrie, qui s’étalerait sur dix-huit mois.
Les signataires entendent pousser le gouvernement syrien du président Bachar el-Assad et certains opposants à entamer des pourparlers sous l’égide de l’ONU. Objectif : conclure un cessez-le-feu, puis s’entendre sur un calendrier pour rédiger une nouvelle Constitution, en vue de tenir, à terme, des élections libres. Pas question d’inclure Daech dans ce processus, à supposer que le groupe terroriste l’ait souhaité… Quant au sort de Bachar el-Assad, il continue d’opposer ses alliés russes et iraniens aux nations, comme la France, qui exigent son départ.
La solution, selon Antoine Basbous, pourrait prendre la forme d’un bouleversement des frontières héritées de l’époque coloniale. Il y a presque un siècle, en effet, les puissances tutélaires britannique et française signaient les « accords Sykes-Picot » pour se partager l’empire ottoman vaincu, donnant naissance à l’Irak et la Syrie, notamment.
« Ces frontières ont vécu, insiste le spécialiste du monde arabe. Bachar el-Assad pourra peut-être régner sur un réduit alaouite (variante du chiisme) dans l’ouest, laissant aux Kurdes le nord-est, et aux sunnites le reste de la Syrie. Ces communautés ne veulent plus vivre ensemble, il faudra bien un jour entériner la partition de facto du pays que l’on constate aujourd’hui. » Même pronostic pour un Irak déjà coupé en trois.
Et l’EI dans ce nouveau paysage ? Pour Mathieu Guidère, « c’est aux pays de la région de s’en occuper, avec l’aide des Occidentaux pour le renseignement, les armes, le financement, mais sans intervention directe ». À cette condition, la menace terroriste en France pourrait être réduite.
Par Frédéric Niel (Pèlerin)