Turquie / Terrorisme : Erdogan paye ses retournements successifs
Terrorisme - Antoine Basbous, Politologue franco-libanais, directeur de l'Observatoire des pays arabes.
C'est la 3e fois cette année qu'Istanboul est en proie au terrorisme. Erdogan n'est-il pas directement visé?
Derrière Erdogan, c'est l'économie turque et les touristes qui sont dans la ligne de mire de Daech. L'État islamique, si c'est bien lui qui est derrière ces attentats, reproche à Erdogan son retournement. Le président turc avait fait de la Turquie l'autoroute du jihad en 2014 jusqu'en 2015. Il avait soutenu Daech dans la bataille de Kobané avant de se retourner contre l'État islamique sous la pression occidentale. Sauf que, pendant ce temps, cette organisation s'est implantée en Turquie, a su communiquer en langue turque, a fait adhérer une petite dizaine de milliers de Turcs à son idéologie, et dispose maintenant d'un terreau favorable à l'EI. Ces dernières années, Erdogan a commis des errements stratégiques majeurs. Sur la Syrie, il pensait être soutenu par Obama et les Européens pour l'éviction d'Assad. Obama avait évoqué la «ligne rouge» des armes chimiques. Assad les a utilisées et Obama n'a fait que se coucher. L'Europe, sans les Américains, n'allait pas faire la guerre à Assad. De fait, Erdogan, qui avait le verbe haut et le bras très mou, s'est vengé en accordant des avantages à Daech comme celui d'ouvrir une autoroute pour les djihadistes. Dans un deuxième temps, lorsqu'il a perdu les élections l'an passé, il a ouvert les vannes des migrants sur l'Europe en réponse, quelque part, à la «trahison» des Européens. Toutes les options qu'avait prises Erdogan depuis 2011 sont tombées à l'eau. Il est en train de payer ses échecs, son peu d'engagements de terrain et sa mauvaise évaluation de son environnement régional et international.
Comment doit-on analyser la stratégie de Daech qui perd des points sur le terrain mais peut s'appuyer sur un réseau de kamikazes prêts à tout ?
Sur le terrain, du point de vue de son organisation, Daech ne dispose pas d'armée de l'air pour faire face à l'offensive internationale. Idéologiquement, Daech reste dominant dans l'esprit d'une communauté sunnite écrasée en Syrie et en Irak par l'hégémonie de l'Iran et de ses relais chiites au sein du monde arabe, au point de créer un «archipel chiite» qui brise l'océan sunnite et fait allégeance au Guide perse qui siège à Téhéran. De fait, l'État islamique peut s'appuyer sur un réseau de personnes qui partagent sa cause, sans avoir forcément à les organiser, et sans qu'ils soient forcément repérables. La poussée idéologique est donc très forte, même si, en Syrie et en Irak, l'organisation connaît des revers.
Quelle doit être en réponse la stratégie des Européens ?
Les Européens n'ont aucune stratégie. Ils sont dans la réaction molle et ne montrent aucune «virilité» dans leur approche de ces questions. Sans les États-Unis en tête, il n'y aura pas de stratégie efficace. Avec Barack Obama, il n'en est nullement question. Il va falloir attendre 2017 pour qu'un(e) futur(e) locataire de la Maison Blanche opte pour une éventuelle stratégie qui puisse entraîner dans son sillage ses alliés européens. Les Européens sont à la peine dans la sanctuarisation de leur territoire. Un million et demi de personnes sont rentrées sans visa l'an passé dans l'UE. Pour moi, l'Europe n'est pas, en ce moment, un acteur crédible, même pas pour sa propre sécurité.
Recueilli par Jean-Marie Decorse (La Dépêche)