Syrie: Que change la mort du «ministre des attentats de Daesh»?
Abou Mohammed al-Adnani, considéré comme le «ministre des attentats» et «porte-parole» de Daesh, a été tué mardi dans le nord de la Syrie...
Abou Mohammed al-Adnani, considéré comme le « ministre des attentats » et « porte-parole » de Daesh, a été tué dans la province syrienne d’Alep. Le Pentagone a affirmé mardi soir avoir mené une attaque dans la région, peu après l’annonce de la mort du dirigeant par le groupe terroriste. Ce mercredi, la Russie a revendiqué la frappe aérienne ayant tué le terroriste. « Le retrait d’Al-Adnani du champ de bataille porterait un nouveau coup important à Daesh », a indiqué mardi soir le porte-parole du Pentagone Peter Cook. Celui-ci a qualifié le djihadiste de « principal architecte des opérations extérieures et porte-parole en chef de Daesh ». Mais la mort du djihadiste pourrait ne pas changer grand-chose dans la résolution du conflit…
Abou Mohammed al-Adnani, né en 1977 et engagé chez les djihadistes depuis le début des années 2000, s’est illustré à deux reprises. En juin 2014, l’homme a annoncé « le rétablissement du califat » par Daesh sur des territoires syriens et irakiens, avant d’appeler en septembre à attaquer les Occidentaux par tous les moyens. Les services de renseignements occidentaux l’ont surnommé « ministre des attentats », le soupçonnant d’avoir inspiré les attaques menées en Europe depuis deux ans.
Un « élément visible » de Daesh quand « le pouvoir reste caché »
Cette importance au sein de Daesh est confirmée par le spécialiste du terrorisme islamiste Antoine Basbous, fondateur de l’observatoire des pays arabes (OPA). « Charismatique, on pourrait comparer Abou Mohammed al-Adnani à Joseph Goebbels [l’un des dirigeants les plus importants du Troisième Reich, chargé de la propagande]. Homme d’expérience, il utilisait la propagande pour orienter les djihadistes et leur désigner les cibles ». Abou Mohammed al-Adnani semble également être un penseur au sein du groupe terroriste. « Il considérait que l’idéologie, souterraine, survivrait malgré les pertes territoriales, notamment Falloujah. »
La figure d’un « Goebbels » syrien est cependant minimisée par Philippe Moreau Defarges, chercheur et codirecteur du rapport Ramses à l’Institut français des relations internationales (Ifri) : « Abou Mohammed al-Adnani était moyennement important dans Daesh. C’est un élément visible de cette organisation. Mais le réel pouvoir reste caché car il est ainsi plus efficace et redouté. » Selon le chercheur, « l’importance d’Abou Mohammed al-Adnani dans Daesh a pu être exagérée afin de valoriser son élimination par les Occidentaux ».
« Réinvention sans cesse » de Daesh sans accord régional
La mort du « porte-parole » al-Adnani ne devrait pas porter de coup fatal à Daesh, et le dirigeant devrait être remplacé par un second. « Son profil et son savoir-faire peuvent être retrouvés chez quelqu’un d’autre. Personne n’est irremplaçable, pas même Ben Laden au sein d’Al-Qaïda. L’idéologie de Daesh est capable de se régénérer et se réincarner », relève Antoine Basbous. « Daesh est comme un cancer », compare encore Philippe Moreau Defarges. « L’un des métastases a été éradiqué hier, mais cela n’arrête pas la présence d’autres cellules cancéreuses dans l’organisme. »
Cet assassinat ne représente donc, selon Antoine Basbous, qu’un « succès relatif » pour la coalition internationale. « L’annonce de cette mort est importante mais c’est un succès relatif pour les Occidentaux. Cela représente une petite victoire par rapport aux objectifs de la coalition internationale engagée militairement depuis 26 mois. L’objectif est la victoire totale sur Daesh, or, nous ne sommes pas dans une guerre totale contre ce groupe. » La faute incombe, selon le politologue, au président américain. « Il manque un homme d’Etat à la Maison Blanche. Barack Obama est un avocat beau parleur qui utilise la stratégie des petits pas. Mais ce n’est pas homme d’Etat capable d’ordonner l’éradication de Daesh. » Selon le chercheur Philippe Moreau Defarges, une résolution du « cancer Daesh » ne peut venir que d’un accord engageant les pays du Moyen Orient. « L’organisation terroriste pourra sans cesse se réinventer si les pays arabes, mais aussi l’Iran, ne s’accordent pas. Ce ne sont pas les Etats-Unis ou la Russie qui y arriveront. »
Anne-Laëtitia Béraud (20 Minutes)