Liban: La situation de vide présidentiel profite au Hezbollah et à l'Iran (ATS)
Le parlement libanais va tenter mercredi d'élire un président, pour la 31e fois consécutive. Cela fait désormais plus de 18 mois que le pays du Cèdre fait face à ce vide présidentiel. Une situation qui profite au Hezbollah chiite, qui dirige déjà le pays de facto, selon des experts.
Le Liban n'a plus de président depuis mai 2014, date à laquelle l'ancien chef d'Etat Michel Sleimane avait terminé son mandat de six ans. Selon la Constitution, il faut au moins deux tiers des 128 parlementaires pour atteindre le quorum de l'élection. Or à chaque tentative, moins de 86 députés sont présents à la session électorale.
La dernière a eu lieu le 22 octobre et le même scénario est à prévoir mercredi. C'est la plus longue vacance présidentielle depuis la fin de la guerre civile (1975-1990).
La coalition du 14-Mars, dirigée par l'ex-premier ministre sunnite Saad Hariri - appuyée par les Etats-Unis et l'Arabie saoudite -, défend la candidature du leader des Forces libanaises, Samir Geagea. Le camp opposé du 8-Mars, mené par le Hezbollah - allié de l'Iran et de la Syrie - soutient le chef du Mouvement patriotique libre, Michel Aoun.
"Le Liban, c'est le Hezbollahland"
"C'est un démantèlement de la République libanaise pour dissoudre les institutions héritées du pacte national de 1943. Le but est de les remplacer par de nouvelles, plus profitables pour l'Iran via le Hezbollah", explique à l'ats Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes, à Paris.
"C'est le Hezbollah qui crée les conditions pour que l'élection n'ait pas lieu (...) Il maintient le vide (présidentiel) pour mieux le combler plus tard. L'idée est de passer du fait accompli à une réalité constitutionnelle" à son avantage, estime M. Basbous.
Et en attendant, le parti chiite "gère tout et détient le contrôle réel du pays, tant au niveau gouvernemental, militaire, sécuritaire, administratif et économique", poursuit l'expert. "Le Liban, c'est aujourd'hui le Hezbollahland", observe-t-il.
"L'état d'esprit d'un modus vivendi a disparu au Liban (...) Or la présidence est la clé de voûte de l'architecture constitutionnelle du Liban", relève encore M. Basbous. Conformément au principe de confessionnalisme libanais, le président doit être un chrétien maronite, le président du parlement un musulman chiite et le premier ministre un musulman sunnite.
Solution externe
"C'est un pays qui traverse une crise politique et institutionnelle sans précédent", a récemment affirmé à la RTBF Karim Emile Bitar, directeur de recherche à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste notamment du Liban.
"Le parlement s'est auto-prorogé. Le gouvernement est d'union nationale, mais basé en fait sur un partage des dépouilles entre les factions qui prennent chacun quelques ministères et qui en font profiter leurs partisans sur la base d’un système clientéliste", selon lui.
Et "le grand problème, c'est que les partis politiques libanais sont tous alignés ou inféodés ou proches de puissances étrangères qui se livrent aujourd'hui une guerre par procuration sur plusieurs terrains régionaux", souligne cet expert.
"Ce qui fait que le déblocage de la situation libanaise ne pourra malheureusement venir que de l'étranger, que d'une détente ou du moins d'un accommodement entre l'Iran et l'Arabie saoudite qui accepteraient de mettre le Liban à l'écart de leurs grandes querelles", analyse M. Bitar.
Indifférence occidentale
Antoine Basbous souligne en outre l'indifférence des pays occidentaux. Les convocations à l'élection d'un président passent inaperçues dans les chancelleries, selon lui.
"Les Etats-Unis ont démissionné au Liban, la France et l'UE n'ont pas les moyens d'agir et l'Arabie saoudite manque d'efficacité. Le seul pays qui compte, c'est l'Iran", insiste-t-il.
Le directeur de l'Observatoire des pays arabes se dit pessimiste pour l'avenir du Liban. Il évoque une situation "très fragile et très volatile" et craint que la guerre civile en Syrie ne déborde par épisodes au sein même du Liban.
Même inquiétude chez Karim Emile Bitar. On risque de voir le Liban basculer, non pas comme dans les autres pays parce qu'il y a un trop-plein de pouvoir arbitraire et de dictature, mais parce qu'il n'y a pas un minimum d'Etat juste et impartial susceptible d'assurer la sécurité de tous et de faire fonctionner les institutions, confiait-il à la RTBF.
Par Jean-François Schwab,
Journaliste à la Rédaction Internationale
Agence Télégraphique Suisse SA - ATS