Algérie : le
Mardi, l’un des principaux responsables de l’armée a ouvert la voie à un départ du président. Une décision forte mais qui pourrait ne pas signifier pour autant la fin du mouvement de protestation, selon un politologue.
La sortie surprise, mardi, du chef d’état-major de l’armée algérienne est-elle le tournant qu’attend le peuple algérien depuis le début de la mobilisation, le 22 février ? Pourtant proche d’Abdelaziz Bouteflika, le général Ahmed Gaïd Salah a demandé à ce que le président, affaibli par la maladie, soit déclaré inapte à exercer le pouvoir ou qu’il démissionne.
Pour Antoine Basbous, fondateur et directeur de l’Observatoire des Pays arabes, politologue spécialiste du monde arabe et auteur notamment du livre "Le Tsunami arabe" (Fayard), cette déclaration ne signe pourtant pas la fin d’un mouvement dont l’avenir demeure incertain.
"Sud Ouest". L’annonce mardi du chef d’état-major de l’armée algérienne, Ahmed Gaïd Salah, a-t-elle été une surprise ?
Antoine Basbous. C’est un vieux général qui doit toute sa carrière à Bouteflika, qui l’a nommé parce qu’il ne représentait pas une menace pour son clan. Mais ça n’a pas été une surprise parce qu’on l’a vu évoluer ces dernières semaines. Il s’est rendu compte qu’il y a une lame de fond, une mobilisation populaire massive. On l’a donc vu évoluer pour imprimer la marque de l’armée dans cette crise, sauver le système, parce que Bouteflika, biologiquement, était fini et qu’il fallait mettre un terme à cette crise. Mais cette nouvelle position intervient au moins cinq ans trop tard… Bouteflika est alité depuis six ans, il fallait tirer les conclusions de cette incapacité beaucoup plus tôt.
Beaucoup d’Algériens estiment qu’il s’agit d’une stratégie qui permettrait au pouvoir de perdurer sans réforme institutionnelle profonde. Qu’en pensez-vous ?
Il y avait un blocage institutionnel. Bouteflika avait décidé d’annuler les élections et de gérer lui-même la transition, mais il a échoué. Donc le chef d’état-major, poussé par l’opinion publique et ses officiers supérieurs, a agi pour faire respecter la constitution. Mais il ne dit pas "on vire Bouteflika pour le remplacer". Il dit : "On applique la constitution". Aujourd’hui, l’armée reprend les choses en mains, non pas pour gouverner directement mais pour que la constitution soit appliquée. L’article 102 (par lequel le président de la République est empêché pour cause de maladie "grave et durable", NDLR), ça veut dire donner au Conseil constitutionnel les prérogatives pour organiser la succession. Évidemment, les réformes ne vont pas se faire en quelques jours mais le régime ne pourra plus bourrer les urnes comme avant, où le vainqueur était fixé avant les élections…
Ceux qui dirigent réellement l’Algérie depuis 2003 et l’AVC de Bouteflika peuvent-ils encore rester au pouvoir ?
Ceux qui dirigent, ce sont les membres de ce qu’on appelle le clan, avec notamment ses frères, quelques hommes d’affaires, des généraux… C’est une poignée de décideurs extra-constitutionnels. Mais ce clan est désintégré maintenant. Il n’y a plus de clan parce qu’il n’a plus de support, il est discrédité, il est en décomposition.
Ce qui se passe actuellement peut-il être considéré comme une victoire par la rue ?
La rue a imposé le recul, d’abord partiel, de Bouteflika, puis sa destitution. Mais la solution n’est pas encore totalement trouvée. Si le Conseil constitutionnel destitue Bouteflika avant vendredi, ça peut réduire le nombre de manifestants. Mais s’il ne bouge pas, parce que ses membres ont été nommés par le président, la rue sera très motivée pour réagir. Si l’article 102, est déclenché, on peut supposer qu’il y aura deux positions dans le mouvement : certains diront que ce n’est pas assez et qu’il faut continuer, d’autres diront que des points ont été marqués et qu’il faut laisser faire les institutions, en maintenant une vigilance accrue pour combattre les manipulations et la fraude systématique.
Publié le 27/03/2019 à 17h00 par Olivier Saint-Faustin.