Algérie, et maintenant ? Les scénarios possibles pour l’après-Bouteflika
Avec la démission du président algérien, s’ouvre une période de 90 jours pendant laquelle une élection présidentielle doit être organisée. Mais la rue n’est pas près de se démobiliser.
La démission de Bouteflika signifie-t-elle la fin de la révolte algérienne ? Rien n’est moins sûr. Au lendemain de l’annonce du président algérien de quitter le pouvoir, qu’il occupait depuis 20 ans, de nombreuses inconnues demeurent concernant la suite des événements.
Le Parisien fait le point sur les différentes questions qui se posent.
Qui pour assurer l’intérim ?
En vertu de la Constitution, c’est le président de la chambre haute du Parlement, Abdelkader Bensalah, 77 ans, qui devient président par intérim. « Il a été fabriqué par Bouteflika et il est tout à fait compatible avec le chef d’état-major des armées Ahmed Gaïd Salah, il est à la fois incolore, indolore et sans saveur », illustre Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes, interrogé par le Parisien.
Mais les militaires, qui ont fait pression sur Bouteflika pour qu’il quitte le pouvoir, ne seraient-ils pas tentés de placer un homme à eux ? « L’armée est la seule institution qui n’est pas contestée en Algérie, il lui revient d’avoir un rôle de garant et d’assurer un cadre serein pendant cette période de transition, mais on ne connaît pas bien ses intentions », analyse Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève, interrogé par le Parisien.
« L’option la plus simple pour l’armée est un intérim du président du Sénat, car toute tentative d’installer ses hommes sera vécue comme un putsch institutionnel », estime cet expert.
Quand auront lieu les prochaines élections ?
Le délai prévu par la Constitution pour organiser de prochaines élections présidentielles est de 90 jours au maximum. Charge à l'actuel gouvernement, tout juste nommé, de programmer deux dates pour les deux tours de l’élection. « On n’est pas à l’abri d’un coup de théâtre de dernière minute, d’autant que ce délai est très court, car la Constitution n’a pas été rédigée en prévision d’une telle crise », rappelle Hasni Abidi.
Cet expert imagine pour l'Algérie un scénario « à la tunisienne », s'inspirant de ce qu'il s'était passé après la chute de Ben Ali en 2012 : « faire voter par l'actuel Parlement des lois et des réformes pour assurer un bon déroulement des élections. »
Par ailleurs, l’actuel et tout nouveau Premier ministre, Noureddine Bedoui, est également ancien ministre de l’Intérieur. À ce titre, il est celui « qui a trafiqué les dernières élections, donc cette fois il y aura une grande vigilance de l’opinion publique », estime Antoine Basbous.
Qui seront les candidats ?
Pour le moment, les candidats de l’opposition ne se bousculent pas pour officialiser leur candidature. Rachid Nekkaz, le très médiatique candidat anti-Bouteflika, se fait plus discret depuis quelques jours.
L’ancien Premier ministre puis opposant à Bouteflika, Ali Benfis, qui avait renoncé à se présenter au scrutin prévu à l’origine le 28 avril prochain, pourrait revenir dans le jeu. L’avocat et militant des droits de l’homme Mustapha Bouchachi a de son côté l’avantage d’être plutôt soutenu par la rue. « Il y a des figures importantes qui peuvent présenter leur candidature, mais les Algériens ne veulent plus d’un homme providentiel », souligne Hasni Abidi.
La mobilisation va-t-elle s’arrêter ?
Sans doute pas. Car les milliers de manifestants, souvent jeunes, appellent à la fin du « système », et pas uniquement à la démission de Bouteflika. Si l’annonce de lundi soir est vécue comme une « bonne nouvelle », elle ne leur est pas suffisante.
« La rue ne veut pas de Bensalah car elle l’associe à Bouteflika, il ne lui paraît pas crédible et les manifestants vont demander son départ dès vendredi [jour traditionnel de mobilisation, NDLR], je ne suis pas sûr qu’il puisse résister à la vague et diriger cette phase de transition », estime Antoine Basbous.
Dans ce cas, le Sénat pourrait élire un nouveau président qui dirigerait le pays par interim, et qui serait accepté par la rue algérienne.
Mais ces manifestants, qui semblent être dans une dynamique de victoire, vont-ils arriver à avoir la tête de tout le système, et pas seulement de Bouteflika ? « Je pense que ça ne peut se faire que par petites étapes et que la lutte va être longue, car effacer 60 ans de règne absolutiste pour revenir à la démocratie, ça ne se décrète pas au journal officiel. Mais jamais ils n’auraient osé rêver de faire plier Bouteflika en six semaines, et sans un seul mort », conclut Antoine Basbous.
Par Nicolas Berrod (Le Parisien)