Démission du Premier ministre, mobilisation monstre... Que se passe-t-il au Liban ?
INTERVIEW Pour Antoine Basbous, politologue et fondateur de l’Observatoire des pays arabes (OPA), le mouvement de contestation au Liban «est la crise la plus importante depuis des décennies» dans le pays. Les Libanais manifestent depuis deux semaines, réclament le départ de l’ensemble de la classe politique, jugée corrompue et incompétente. La colère populaire avait explosé le 17 octobre après l’annonce d’une nouvelle taxe sur les appels via la messagerie WhatsApp. L’annulation de la mesure n’a pas empêché la révolte de gagner l’ensemble du pays. Mardi, le Premier ministre Saad Hariri a remis sa démission au président libanais, Michel Aroun. Il s'agissait de l’une des principales revendications du peuple. Au 13e jour de mobilisation, les Libanais ont obtenu le départ du chef du gouvernement. Le Premier ministre, Saad Hariri a démissionné, ce mardi, après deux semaines de manifestations de la population, qui réclame le départ de l'ensemble de la classe politique, l’accusant d’avoir fait couler le pays.
Le 17 octobre, l'annonce d'une nouvelle taxe sur les appels via la messagerie WhatsApp avait provoqué la colère des Libanais. Malgré l’annulation de la mesure et un plan de réformes présenté par le gouvernement, la colère avait gagné l'ensemble du pays. Pour tout comprendre à la situation au Liban, 20 Minutes a interrogé Antoine Basbous, politologue, fondateur et directeur de l’Observatoire des pays arabes (OPA).
Pourquoi les Libanais se sont-ils mobilisés ? Quelles sont leurs revendications ?
Nous assistons à une révolte populaire contre la caste politique, qui a plombé le pays, qui l’a surendetté à cause de la corruption. Le Liban est presque le pays le plus endetté du monde par habitants. La population ne dispose que de six heures d’électricité par jour alors que le secteur a reçu des dizaines et des dizaines de milliards de dollars, qui ont été empochés par les dirigeants. Alors que le tiers de la population est au chômage et les infrastructures sont médiocres, le gouvernement rajoute chaque année de nouveaux impôts sans réformer. La colère est générale, elle transcende toutes les communautés, toutes les confessions et toutes les régions du pays.
Il y a un deuxième élément qui est encore plus important. Au Liban, il y a deux Etats. D’abord, « l’Etat apparent », c’est-à-dire les institutions, la présidence, le parlement, le gouvernement. Mais cet Etat fait de la figuration. Il est complètement impuissant parce qu’il est aux ordres de « l’Etat profond », celui du Hezbollah, le bras armé de l’Iran en Méditerranée, qui a désigné les dirigeants de l’Etat apparent. Le Hezbollah, qui dispose d’une armée bien plus puissante que celle officielle du Liban, capte les ressources du pays, contrôle les frontières, les ports, l’aéroport, c’est lui qui décide de tout, de la paix, de la guerre, de l’économie. Il capte les ressources, au nom d’une cause promue par l’Iran, celle de « l’axe de la résistance », qui n’intéresse plus les Libanais. Ceux-ci ne veulent plus être embarqués dans des causes qui les appauvrissent, les dépassent, ils veulent vivre et vivre décemment.
Cette crise est-elle inédite dans le pays ?
C’est la crise la plus importante depuis des décennies. Le Liban n’avait jamais connu de mouvement de contestation si important jusque-là, encore moins de mouvement transcendant qui unit l’ensemble des communautés. Les gens ont tous brandi le drapeau du Liban, il n’y a pas eu de drapeaux du Hezbollah ou d’autres partis politiques qui flottent sur les places des rassemblements. La classe politique a perdu ses bases sociales. Les gens sur lesquels elle pensait pouvoir compter se sont joints à la contestation. C’est la victoire de la citoyenneté au détriment de l’appartenance confessionnelle. C’est une première que les Libanais doivent à la « génération courage » qui a osé briser les tabous et ressusciter le « Citoyen libre » au détriment de « l’individu confessionnalisé ».
L’autre question, c’est la durée de ce mouvement. Le Hezbollah est en train de le diaboliser. Il veut militariser la contestation, il a envoyé ses miliciens pour violenter les manifestants et ramener chaque citoyen à sa condition primaire, c’est-à-dire au réflexe communautaire. Puisque la base sociale du Hezbollah a commencé à lui échapper, il a cherché à la ramener au bercail en confessionnalisant la révolte pour la faire avorter.
La démission de Saad Hariri et de son gouvernement a-t-elle contenté la population ? Son départ signe-t-il la fin de la mobilisation ?
Non, la démission de Saad Hariri, ce n’est qu’une infime partie des revendications de la population. Les Libanais réclament le départ de l’ensemble de la classe politique et un changement radical du système dont les dérives ont versé dans la corruption, la cooptation, l’allégeance confessionnelle, le partage du gâteau entre les puissants.
Pourquoi la communauté internationale a-t-elle réclamé le maintien de Saad Hariri au pouvoir ?
La communauté internationale est déboussolée, elle n’a pas vu venir cette contestation et elle a horreur de l’inconnu. Il y a assez de crises politiques à gérer dans la région en ce moment : l’Algérie, la Libye, l’Irak, la Syrie et d’autres encore, pour rajouter une nouvelle crise. La communauté internationale préfère avoir affaire à des gens qu’elle connaît, qu’elle maîtrise, dont elle devine les réactions, plutôt que de tomber dans l’inconnu et risquer le chaos.
Que peut-il se passer maintenant au Liban ?
Le président Michel Aoun doit désormais convoquer des consultations parlementaires pour désigner le nouveau chef du gouvernement. Celui qui sort comme étant le vainqueur, qui sera désigné par les députés sera Premier ministre. Si les députés veulent un homme malléable, il pourrait réélire Saad Hariri. C’est un Premier ministre faible, dont s’accommode le Hezbollah, ses alliés, ses adversaires. Si les députés veulent s’accommoder d’un homme malléable, il pourrait être nommé une nouvelle fois. Outre sa précédente cooptation par le Hezbollah, il présente l’avantage d’être un paratonnerre par rapport à l’Occident, il est connu et apprécié des pays occidentaux, il a des portes ouvertes auprès des dirigeants importants, ce qui n’est pas donné à tous les éventuels candidats. C’est une crise de régime grave et il faudra peut-être réformer le système politique en profondeur. Actuellement, les mieux armés pour s’imposer, c’est le Hezbollah, qui pourrait façonner un nouveau régime en sa faveur.
Propos recueillis par Manon Aublanc (20 Minutes)