Emmanuel Macron au Liban: «Le Hezbollah sera son vrai obstacle», selon un politologue
DIPLOMATIE - Au Liban, Emmanuel Macron mène en coulisses des négociations pour sortir le pays d'une crise politique profonde. Mais le pari complexe n'est-il pas trop ardu ? Antoine Basbous, politologue et directeur de l'Observatoire des pays arabes (OPA), donne son point de vue pour LCI.
Il s'agit de sa deuxième visite en moins d'un mois. Lors de la première le 6 août 2020, deux jours à peine après cette très violente double explosion ayant tué plus de 180 personnes et dévasté une partie de la ville, Emmanuel Macron plaidait pour un nouveau «pacte politique» et des réformes urgentes, promettant que «la France ne lâcherait pas le Liban» et qu’il reviendrait. Lundi 31 août, le chef de l'Etat a tenu ses promesses, célébrant le premier centenaire de la proclamation du Grand-Liban mais aussi tentant de résoudre la crise politique profonde dans laquelle le Liban s'est enlisé.
Seulement, Emmanuel Macron a-t-il tous les moyens en sa possession ? Contacté par LCI, Antoine Basbous, politologue et directeur de l'Observatoire des pays arabes (OPA), pense que cette affaire réclamera une énergie et un investissement considérables de la part du chef de l'Etat («Je ne vous lâcherai pas», a-t-il martelé) en même temps qu'elle ne sera pas sans risques.
Les propos d’un président Français cartésien, raisonnant en état de droit, ne font pas le poids face à la vision messianique de Hezbollah.
- Antoine Basbous, politologue et directeur de l'Observatoire des pays arabes (OPA)
LCI: Emmanuel Macron a-t-il les coudées franches pour bousculer l’appareil politique ?
Antoine Basbous: Théoriquement, non. Seulement, la situation politique est si calamiteuse au Liban... Le pays est entre désespoir et sidération, la classe politique se révèle abhorrée ; ainsi, pour le peuple libanais, l’intervention du Président français donne du baume au cœur. Vu le contexte, Macron tente simplement d’apporter une sortie de crise à tous les acteurs.
Le chef de l'Etat évoque lui-même un «pari risqué». Comment manœuvre-t-il de votre point de vue ?
Emmanuel Macron utilise la carotte et le bâton pour agir. Il fait miroiter l'espoir au peuple libanais, s'exprimant de façon légitime puisqu'il a été le premier chef d’Etat à Beyrouth deux jours après l’explosion apocalyptique. A travers lui, pointe la promesse du déblocage de cette aide financière vitale de 11 milliards de dollars, promise depuis 2018 lors de la conférence des donateurs (Cèdre) ; Macron répondant ainsi aux souhaits du Fonds monétaire internationale (FMI) ayant posé comme condition des réformes fondamentales pour la débloquer. Pour ce faire, le nouveau Premier ministre libanais Moustapha Adib a dû s'engager à l'issue de sa désignation à former rapidement un gouvernement chargé d'enclencher ces réformes longtemps attendues et à conclure un accord pour sortir le pays du naufrage économique, assainir ses finances et le rendre plus attractif pour les investisseurs. Reste que si les Libanais sont très sensibles à l’intervention du Président français, rien n’est pas joué. Macron a investi ce terrain au nom de l’amitié, des intérêts géopolitiques de la France, de l’histoire, de l’avenir... Mais c'est une affaire qui va nécessiter beaucoup d’énergie, beaucoup d’investissement de sa part.
Quelles ornières va-t-il rencontrer ?
Le principal écueil, c’est de se trouver démuni face aux partis politiques d’un état aphone et impuissant face à une armée de Hezbollah, ce bras armée de l’Iran en Méditerranée beaucoup plus puissant que l’armée libanaise. Cette milice décide de tout, la paix comme de la guerre et, au fond, c'est elle qui contrôle la scène politique au Liban. Omnipotente, elle contrôle tout, entrave le fonctionnement démocratique des institutions et, pour l’instant, elle se révèle incontournable.
Pourquoi ?
Parce que Hezbollah a un commanditaire étranger et que son projet dépasse le Liban. Son représentant Hassan Nasrallah obéit au guide suprême Ali Khamenei. Ainsi, les propos d’un président Français cartésien, raisonnant en état de droit, ne font pas le poids face à la vision messianique de Hezbollah et de la révolution islamique en Iran. Hezbollah qui reçoit des missions de Téhéran constituera le vrai obstacle pour le président Macron car il n'est pas, contrairement aux autres acteurs de la crise, dans la volonté de reconstruire un État de droit répondant aux normes démocratiques. Et Macron le sait pertinemment : le 7 août, au lendemain de sa première visite à Beyrouth, il a appelé le président Iranien Hassan Rohani, et ce bien qu'il ne soit pas le décideur. Aussi, si Macron suscite un vif espoir, les Libanais se demandent aussi comment il va composer avec le Hezbollah qui a mainmise sur le pays grâce à ses armes ou s'il va réussir à éviter cela ? En somme, sa mission, c’est comment faire sans confier le pays au Hezbollah.
Quelles sont ses chances ?
Macron veut foncièrement aider le pays à surmonter les difficultés, possédant une fibre qui résonne avec l’Histoire. Il y a de l’émotion dans ses actes. Son engagement s’inscrit dans la durée, il veut des résultats. Le premier effet de son implication, c’est la désignation du Premier ministre, Mustapha Adib. Dans moins de deux semaines, un nouveau gouvernement sera nommé et des réformes devraient être votées dans la foulée. Emmanuel Macron réunira fin octobre les acteurs politiques à Paris pour une nouvelle conférence internationale. Il y a donc un agenda, une feuille de route. S'il ne pourra pas résoudre tous les problèmes qui existent depuis des décennies, il pourra faire un peu avancer la situation du pays, l’extirper du marasme dans lequel il est englué et c’est porteur d’espoir. Les Libanais, révoltés par l’incurie et la corruption de ses responsables politiques, se tournent vers lui comme un sauveur. Un avocat à l’international qui vous prend par la main quand vous êtes par terre et qui vous relève.
Par Romain Le Vern. (LCI)