Après les menaces d'Al-Qaida contre Charlie Hebdo, la crainte de nouvelles attaques
Alors que le groupe terroriste a de nouveau menacé le journal satirique après la republication des caricatures de Mahomet, les spécialistes jugent que le niveau de la menace est "très élevée en France".
La date choisie est symbolique, mais les menaces, elles, sont bien réelles. Vendredi 11 septembre, 19 ans après les attaques du World Trade Center et au dernier jour de la première semaine du procès des attentats de Charlie Hebdo de janvier 2015, Al-Qaida a publié de nouvelles menaces à destination du journal satirique. En début de semaine, Charlie Hebdo avait fait le choix de republier en Une les caricatures de Mahomet, qui avaient déjà provoqué l'assaut meurtrier du 7 janvier 2015.
Dans son communiqué, le groupe terroriste annonce que la tuerie survenue dans les locaux de la rédaction du journal "n'était pas un incident ponctuel". "Si votre liberté d'expression ne respecte aucune limite, préparez-vous à vous confronter à la liberté de nos actions", prévient Al-Qaida. "Les communiqués officiels de menace aussi élaborés sont plutôt rares", note auprès de L'Express Thibault de Montbrial, président du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure et avocat au barreau de Paris. "Al-Qaida n'annonce pas des attaques qui lui soient nécessairement organiquement liées, mais incite plus largement tous ceux qu'elle considère comme les 'bons musulmans' déjà présents en France et en Europe à agir", poursuit-il.
Un déclin en apparence
Malgré un déclin progressif et annoncé depuis la mort d'Oussama Ben Laden en 2011, Al-Qaida n'en demeure pas moins dangereux. "Al-Qaida vivote. Il n'y a plus de commandement pyramidal efficace, chaque zone gère son émirat avec les moyens du bord, il n'y a plus cette centralité d'antan : elle est assurée par internet, l'historique et la doctrine", développe auprès de L'Express le politologue Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes.
Le groupe terroriste a également pâti de sa rivalité avec l'Etat islamique. "La compétition existe, mais Al-Qaida a été battu à plates coutures par Daech qui compte beaucoup plus d'islamistes embrigadés, contrôle des territoires et se déploie sur plusieurs frontières. Daech est beaucoup plus présent", affirme Antoine Basbous. Eradiquer totalement Al-Qaida semble cependant illusoire. "On fait comme les Israéliens qui appellent ça tondre le gazon : on maintient la menace à un niveau gérable, mais on n'arrive pas à le détruire, c'est une idéologie", souligne auprès de L'Express Isabelle Dufour, consultante chez Eurocrise.
Appels au passage à l'acte
Al-Qaida, comme a pu le faire l'Etat islamique auparavant, s'en remet désormais à des appels au passage à l'acte. "Al-Qaida n'a jamais été structuré au sens où on l'entend en Occident. Al-Qaida a toujours travaillé sous forme de nébuleuse avec une base restreinte et un réseau 'en métastases'", analyse Thibault de Montbrial. Le groupe terroriste a néanmoins perdu de sa puissance de frappe qui faisait sa force dans le passé. "Al-Qaida ne peut plus organiser des attaques depuis le centre et cherche à déléguer des vocations qui proviennent des zones où les islamistes se trouvent pour agir et revendiquer. Ils n'ont plus la capacité transnationale", explique Antoine Basbous.
Les services de renseignement français devront redoubler de vigilance dans les mois à venir. "Les personnes emprisonnées il y a 8-12 ans, vont être libérées de prison. La plupart n'ont pas changé d'idéologie", estime Isabelle Dufour. "Le suivi judiciaire est léger, on vient une fois par mois pour faire un entretien. La justice manque de moyens", poursuit-elle. D'autant que les menaces d'Al-Qaida ne sont souvent pas mises à exécution dans l'immédiat. C'est en 2006 que Charlie Hebdo avait publié pour la première fois les caricatures qui lui avaient valu d'être décimé le 7 janvier 2015. "Pour eux c'est une provocation, cela ne fait que les renforcer. Ils ont le temps long. Lors des attentats de janvier 2015, la protection avait été baissée, ils ont attendu le bon moment. On peut s'attendre à ce que ça recommence", estime Isabelle Dufour.
Une menace prise au sérieux
La vigilance des services français face à Al-Qaida et sa branche au Maghreb islamique (AQMI) n'est en revanche jamais retombée. En juin, la ministre des armées Florence Parly avait annoncé que les forces spéciales étaient parvenues à éliminer l'Algérien Abdelmalek Droukdel, chef d'AQMI. "D'un point de vue militaire, c'est un grand succès. Cela désorganise et permet de saisir la documentation. Cela permet aussi de voir qui va le remplacer et quels sont les réseaux", glisse Isabelle Dufour.
Mais la menace reste constante. "La capacité d'agir des terroristes islamistes en France est très élevée et l'est de plus en plus : il y a 5 ans, on avait des commandos projetés depuis l'étranger, auxquels ont succédé des initiatives plus individuelles. Maintenant, il y a une jonction entre les djihadistes aguerris qui sortent de prison et le terreau que constitue la présence de nombreux radicalisés sur le territoire français", soutient Thibault de Montbrial. "Des réseaux se structurent désormais sur notre territoire, ce qui est très inquiétant, prévient-il. Le retour d'attentats islamistes spectaculaires à court terme est une hypothèse sérieuse."
Thibault Marotte. (L'Express)