Tensions en Méditerranée: Paris et Le Caire au diapason face à Erdogan
Le président français, Emmanuel Macron, a reçu lundi à l'Elysée le chef de l'Etat égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, pour des entretiens centrés sur les crises régionales. Paris et Le Caire partagent une forte défiance envers la Turquie d'Erdogan.
Le président français, Emmanuel Macron, et son homologue égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, se sont montrés au diapason sur les grands enjeux de sécurité internationale, lundi. A l'issue d'entretiens à l'Elysée, les deux chefs d'Etat ont affiché leur convergence sur la crise libyenne et la Méditerranée orientale face aux menées jugées agressives du président turc, Recep Tayyip Erdogan.
Ce dernier soutient militairement le gouvernement GNA dans la guerre civile libyenne face au maréchal Haftar, suppléé par des mercenaires russes et, politiquement par Le Caire. Les deux présidents ont appelé au départ de toutes les milices étrangères de Libye. La France soutient aussi Chypre et la Grèce confrontées aux ambitions d'Ankara en Méditerranée orientale notamment pour l'accès aux ressources en hydrocarbures offshore.
Partenariat incontournable
Les deux chefs d'Etat ont aussi discuté du dossier nucléaire iranien, que l'arrivée à la Maison-Blanche de Joe Biden va certainement relancer, du conflit israélo-palestinien, à la lumière de la normalisation récente des relations entre Jérusalem et les Emirats arabes unis, ou Bahreïn, alliés du Caire, ainsi que du Liban.
«L'Egypte est un partenaire en effet incontournable sur la Libye, car elle ne peut pas se désintéresser de ce qui se passe dans ce pays avec lequel elle partage une frontière de 900 kilomètres estime Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes. L'Egypte, puissance de référence dans le monde arabe, est aussi un partenaire actif en Méditerranée de la France, avec laquelle elle a opéré la semaine dernière des manoeuvres navales, aux côtés de la Grèce et de Chypre».
L'épine des Droits de l'Homme
La priorité pour la France demeure le renforcement du «partenariat stratégique» avec le pays le plus peuplé du monde arabe, considéré comme un «pôle de stabilité» dans une région volatile, estime l'Elysée. Un partenariat délicat, car les ONG accusent l'exécutif français de «dérouler le tapis rouge» à un «dictateur» portant gravement atteinte aux droits de l'Homme. Une question évoquée brièvement par Emmanuel Macron, lundi, mentionnant un «dialogue exigeant» sur ce sujet avec le président égyptien… qu'il a remercié pour la libération récente de trois militants égyptiens, arrêtés peu après une rencontre avec une quinzaine de diplomates occidentaux. Après le coup d'Etat militaire de 2013, soutenu par un soulèvement populaire au vu de la politique catastrophique et liberticide suivie par le président élu Mohamed Morsi, chef de la confrérie des Frères musulmans, Abdel Fattah al-Sissi a durement réprimé les islamistes.
«Mon dictateur préféré», selon Trump
Mais depuis quelques années, la répression s'est étendue aux libéraux, notamment aux personnalités du monde de la culture sous des accusations d'atteinte aux valeurs nationales, familiales ou religieuses. On estime que 60.000 personnes sont emprisonnées en Egypte pour raisons politiques. Au point que le président Trump qualifiait le président égyptien de «mon dictateur préféré».
«Je ne conditionnerai pas notre coopération en matière de défense, comme en matière économique, à ces désaccords» sur les droits de l'Homme, a précisé le chef de l'Etat français, afin de ne pas «réduire l'efficacité d'un de nos partenaires dans la lutte contre le terrorisme et pour la stabilité régionale».
Emmanuel Macron a par ailleurs remercié son homologue d'être venu à Paris malgré la «campagne de haine» anti-française dans le monde musulman après la défense par l'Elysée de la liberté de caricaturer, suite à l'assassinat par un islamiste d'un enseignant français pour avoir montré en cours des caricatures de Mahomet. Le président égyptien avait, effectivement, dénoncé le terrorisme, mais en même temps jugé «intolérable d'insulter le Prophète».
Débat politico-religieux
Soulignant, lundi, qu'une caricature «n'est pas un message de la France à l'égard du monde musulman, mais l'expression libre» d'un dessinateur qui «en a le droit dans mon pays. Parce que ce n'est pas la loi de l'islam qui s'applique, c'est la loi d'un peuple souverain, qui l'a choisi pour lui-même», Emmanuel Macron a déclenché un très inhabituel débat politico-religieux avec son homologue égyptien, qui a rétorqué que «les valeurs religieuses, d'origine céleste, ont suprématie sur les valeurs humaines qui peuvent être changées». «Si nous considérons que le religieux supplante le politique», les régimes ne sont plus des démocraties, «ce sont des théocraties», a répondu le président français.
Aucune grande signature de contrat n'est prévue à l'occasion de la visite du président égyptien, après les années fastes marquée par la vente de 24 avions de combat Rafale à l'Egypte. Emmanuel Macron s'était rendu au Caire en janvier 2019, où avait été signé un contrat pour le métro.
Yves Bourdillon. (Les Echos)