15/10/2021 Texte

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Tunisie : un gouvernement pour séduire les bailleurs de fonds

Deux mois et demi après que le président Kaïs Saïed s'est arrogé les pleins pouvoirs, le gouvernement tunisien a pris ses fonctions cette semaine. Les ministères économiques sont confiés à de bons interlocuteurs des bailleurs de fonds internationaux, dont la Tunisie a urgemment besoin.

L'énigme Kaïs Saïed se poursuit. Deux mois et demi après avoir démis son Premier ministre et s'être arrogé les pleins pouvoirs, le président tunisien a reçu cette semaine le nouveau gouvernement qui lui rendra directement compte, selon le décret présidentiel publié le mois dernier .

Sa composition était très attendue pour mieux comprendre les intentions du nouvel homme fort de Tunis. Celui-ci avait argué d'un « danger imminent » pour la nation sans jamais le préciser. On le sait déterminé à réduire le pouvoir du Parlement, où les querelles de partis ont paralysé le pays ces dernières années, mais on ignore jusqu'où ira sa volonté de concentrer les pouvoirs et surtout pendant combien de temps.

Les finances publiques, une priorité

On ignore aussi ses priorités économiques, alors que le pays est plongé dans une crise économique et sociale et souffre d'importantes difficultés financières. Pour éviter un défaut de paiement dans quelques mois, l'Etat tunisien doit rapidement renouer le dialogue avec le Fonds monétaire international (FMI). Un programme de prêts de l'institution internationale faciliterait dans la foulée des crédits d'autres bailleurs et des levées de fonds sur les marchés.

Les finances publiques, une priorité Jusqu'ici tu par le président, le sujet a enfin été abordé lors de la seule prise de parole de la nouvelle Première ministre , mardi. Najla Boudem, qui a fait carrière dans l'enseignement et au ministère de l'Education nationale, a assuré que les priorités de son gouvernement étaient de réparer les finances publiques et de mettre en œuvre des réformes économiques.

Elle a reçu le même jour la ministre des Finances ainsi que le gouverneur de la banque centrale, dont le dernier rapport annuel , publié il y a dix jours, s'inquiétait d'un possible manque de ressources financières externes et du risque d'une hausse de l'inflation. Le lendemain, une rumeur, depuis démentie, annonçait la visite imminente d'une délégation du FMI.

La composition du nouveau gouvernement confirme que Tunis sait l'importance de renouer le dialogue avec les créanciers internationaux. Le ministère de l'Economie a ainsi été confié à Samir Saïd, qui a fait carrière dans la banque, notamment à Oman, alors que la Tunisie pourrait chercher plus de ressources auprès des pays du Golfe. Le portefeuille des Finances reste aux mains de Sihem Boughdiri Nemsia, une haute fonctionnaire spécialisée dans la fiscalité, qui a mené plusieurs négociations d'envergure avec les partenaires internationaux.

Des personnalités dociles

« Les ministères économiques font la part belle à des techniciens, pour la plupart des femmes, issus de la haute administration ou du secteur privé, et qui sauront parler avec les bailleurs de fonds internationaux », note ainsi Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes, cabinet qui conseille les grands groupes dans la région.

Mais un bon connaisseur du pays note que le choix des ministres n'éclaire guère sur les priorités exactes de Kaïs Saïed : « S'il avait nommé à l'Economie un gouverneur de la banque centrale ou un ancien de la Banque mondiale, le président aurait clairement prouvé qu'il donnait la priorité aux négociations multilatérales. De plus, pour la première fois, un poste de secrétaire d'Etat à cheval sur le ministère des Affaires étrangères et celui de l'Economie a été créé, ce qui pourrait montrer que le président veut privilégier des discussions bilatérales. Beaucoup d'inconnues persistent. »

La grande inconnue concernera surtout la marge de manœuvre dont pourra jouir ce nouveau gouvernement. S'il est une chose que Kaïs Saïed prouve par son choix de ministres, c'est qu'il a privilégié des personnalités plutôt dociles : des technocrates, des hauts fonctionnaires ou des proches plutôt discrets et n'affichant pas d'ambitions politiques. Peu de danger, donc, pour le pouvoir unipersonnel que le président tunisien a instauré.

Sophie Amsili (Les Echos)

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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