20/10/2021 Texte

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Libye : une décennie après la mort de Kadhafi, son clan espère toujours peser sur le pays

Dix ans jour pour jour après la chute de l'ancien dictateur, les membres de sa famille encore vivants sont toujours en exil. Sauf son fils Saïf al-Islam, longtemps perçu comme son dauphin, qui ne cache pas ses ambitions à quelques mois de l'élection présidentielle.

C'était il y a dix ans jour pour jour. Alors que le Printemps arabe avait gagné la Libye, Mouammar Kadhafi était capturé et tué par des insurgés. Le long règne de 42 ans du dirigeant fantasque et autoritaire prenait fin. Et la Libye entrait dans une spirale de violences et de divisions, alimentées par des ingérences étrangères.

La chute du dictateur a emporté celle de son clan : trois de ses fils, Moatassem, Khamis et Saïf al-Arab, ont été tués au cours de l'année 2011. D'autres se sont refugiés à l'étranger, dans le sultanat d'Oman : son fils aîné Mohamed, le seul issu de son premier mariage, sa fille Aïcha, ainsi que sa seconde femme Safia.

Le cinquième fils du dictateur, Hannibal, qui s'était fait connaître pour ses déboires judiciaires en Europe a, lui, été vu à Oman et en Syrie avant d'être arrêté au Liban, où il est toujours emprisonné.

Il faut revenir doucement, doucement

Mais dix ans après la chute du dictateur, le nom Kadhafi a de nouveau circulé à propos de ses deux autres fils, Saadi et Saïf al-Islam. Le premier, un ancien footballeur, avait fui au Niger avant d'être extradé en 2014 puis emprisonné, accusé du meurtre d'un entraîneur, mais aussi d'avoir organisé la répression de manifestations en 2011.

Sa libération début septembre, ainsi que celle d'autres proches de l'ancien dictateur, a pu être interprétée comme un effort de réconciliation nationale dans le cadre du processus de paix organisé depuis l'an dernier sous l'égide de l'ONU et qui doit aboutir à des élections présidentielles et législatives en décembre et janvier.

Saadi s'étant immédiatement exilé en Turquie, ne reste plus en Libye que Saïf al-Islam, le fils Kadhafi le plus impliqué politiquement et celui qui était perçu comme le dauphin du dictateur. Capturé en 2011 par un groupe armé, il était alors sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l'humanité. En 2015, il est condamné à mort par contumace par la justice libyenne lors d'un procès expéditif. Deux ans plus tard, le groupe qui le détenait annonce sa libération. Depuis, l'ex-prisonnier n'a plus donné signe de vie.

Jusqu'à juillet de cette année et une très remarquée interview au « New York Times Magazine ». On y découvre que Saïf al-Islam vit dans la région montagneuse du Zintan, dans le nord-ouest de la Libye. On y trouve surtout la confirmation de ses intentions, à cinq mois du scrutin présidentiel : « Je suis resté loin des Libyens pendant dix ans. Il faut revenir doucement, doucement, comme un striptease », plaisante-t-il.

Nostalgiques de l'ancien régime

Les aspirations de Saïf al-Islam, ainsi que la libération de Saadi, semblent accréditer le fait que les Kadhafi ne sont plus des parias en Libye. « Le climat a changé ces dernières années : plusieurs acteurs politiques cherchent à 'draguer' les kadhafistes et à s'en rapprocher », confirme Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes, cabinet qui conseille les groupes dans la région.

Dans un pays miné par les divisions tribales et politiques, aux institutions dédoublées entre l'Est et l'Ouest, les Libyens pourraient en effet se retourner avec une nostalgie croissante vers les années Kadhafi certes marquées par un régime autoritaire mais aussi par une relative prospérité grâce à la manne pétrolière.

L'hypothèse du retour d'un Kadhafi à la tête de la Libye est-elle dès lors plausible ? « Sur le plan intérieur, Saïf al-Islam pourrait avoir ses chances », estime Antoine Basbous. « Mais dans un processus guidé par l'ONU, on voit mal comment la candidature d'une personne réclamée régulièrement par la CPI pourrait être acceptée. »

Le clan Kadhafi pourrait donc peser autrement sur le scrutin : « Il a une base électorale constante, des nostalgiques de l'ancien dirigeant qui attendent que Saïf le réoriente vers un candidat », poursuit Antoine Basbous. Reste pour le pays à aller jusqu'au bout du processus de réconciliation nationale et à organiser bel et bien le scrutin.

Sophie Amsili (Les Echos)

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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