12/07/2022 Texte

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TRIBUNE. « La guerre en Ukraine entraine la réconciliation américano-saoudienne »

Les impératifs économiques et la realpolitik ont abrégé la quarantaine du prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane (MBS). Le pestiféré s’est transformé en acteur très courtisé, au point que tous ses adversaires d’hier ont dû faire amende honorable.

Le premier a été le président turc Erdogan qui, toute honte bue, a fait clôturer l’instruction de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul et a renvoyé le dossier en Arabie, avant de se rendre en personne dans le royaume. À un an d’une présidentielle à haut risque, ce rival affiché de MBS a préféré assurer le renflouement de ses caisses. Le second est Joe Biden, qui avait promis de traiter le prince en paria et qui se prépare désormais à lui serrer la main à Djeddah, lui donnant du même coup une onction internationale.

Car comment imposer un embargo sur le pétrole russe, après l’invasion de l’Ukraine, sans trouver un fournisseur alternatif qui irrigue l’économie mondiale à des prix raisonnables ? La seule solution passe par l’Arabie et ses voisins du Golfe. D’où ce revirement spectaculaire. Encore faudrait-il convaincre et rassurer MBS. En effet, depuis presque vingt ans les Américains se désengagent du Moyen-Orient, abandonnant leurs ex-protégés à l’hégémonie de l’Iran, lequel a bénéficié de la bienveillance de la Maison-Blanche sous Barak Obama.

Inquiète pour sa sécurité et échaudée par la passivité américaine face aux attaques de missiles balistiques et de drones par l’Iran et ses proxies, l’Arabie a cherché de nouveaux alliés plus protecteurs et moins regardants. Vladimir Poutine est apparu comme le premier partenaire de substitution crédible : n’a-t-il pas sauvé le soldat Assad au bord de l’effondrement en 2015 ? N’est-il pas un partenaire fiable au sein de l’OPEP+ ? La Chine est également appréciée de Riyad. La puissance montante en Asie est un partenaire stratégique qui, pendant la traversée du désert de MBS, l’a reçu à bras ouverts. Avec sa réhabilitation, entamée par Emmanuel Macron en décembre 2021, la visite d’Erdogan, puis celle annoncée de Biden, le futur Roi d’Arabie a retrouvé des ailes et repris les visites des capitales régionales.

Aidé par un baril à la hausse, MBS veut accélérer la modernisation de son pays à marche forcée et ne tolère pas la moindre contestation. Il a déjà engagé une révolution sociale, libéralisé les mœurs de sorte que les femmes saoudiennes puissent mener une existence au travail, en ville, au volant de leur voiture, et être reconnues au regard de la loi. La milice religieuse des moutawas s’est totalement évaporée et les oulémas wahhabites, hier tout puissants, rasent désormais les murs quand ils ne sont pas sous les verrous. Les livres scolaires ont été revus, amendés et expurgés de la vision belliqueuse du wahhabisme. Sans oublier les chantiers gigantesques qui, s’ils sont conduits à leur terme, vont propulser l’Arabie en avant sur le plan social et diversifier son économie.

Toutefois, le retour des bonnes relations avec Washington ne se fera pas sans conditions. Le jeune MBS, dont le règne pourrait durer un demi-siècle, va profiter du nouveau rapport de force pour ressusciter le pacte non écrit du Quincy de 1945 entre son grand-père Abdelaziz, fondateur de l’Arabie actuelle, et le président américain Roosevelt. Le ministre du Pétrole et frère de MBS a récemment formulé les attentes saoudiennes en ces termes : si vous voulez notre pétrole, vous devez nous protéger. Il s’agira donc d’un accord où les deux parties doivent être gagnantes. Sinon, l’Arabie ne se substituera pas à Moscou pour la fourniture des hydrocarbures. Il lui faut des garanties de sécurité face à Téhéran et ses proxies.

L’onde de choc de la crise ukrainienne a ouvert la voie à une accélération de la recomposition du Moyen-Orient et à la revalorisation d’une alliance qui a fait ses preuves pendant trois générations. Ceci intervient alors que les « accords d’Abraham » de 2020 ont introduit une évolution majeure dans la géopolitique régionale, à travers la constitution d’une alliance militaire israélo-arabe, sous impulsion américaine, destinée à contenir l’hégémonie de l’Iran. Très attendue, l’Arabie n’y fera son entrée qu’après le décès du Roi Salman, qui ne peut pas renier son long militantisme pour la cause palestinienne. Celle-ci résistera-t-elle à son dépassement par cette étrange coalition ? La guerre de Gaza en mai 2021 n’a en tout cas pas remis en cause la dynamique de la nouvelle alliance. »

Le JDD

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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