06/04/2023 Texte

pays

<< RETOUR

Entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, un nouveau pas vers la réconciliation

Pour la première fois en sept ans, les ministres des Affaires étrangères des deux rivaux du Moyen-Orient se sont entretenus à Pékin. Un rapprochement diplomatique qui pourrait désamorcer certaines tensions dans la région.

Rarement rencontre de deux ministres de pays voisins n’aura été plus scrutée que celle, ce jeudi, à Pékin, entre le chef de la diplomatie saoudienne, le prince Fayçal ben Farhane, et son homologue iranien, Hossein Amir-Abdollahian. Cette rencontre bilatérale, la première depuis sept ans à ce niveau de responsabilité, constitue un pas de plus dans la réconciliation irano-saoudienne, sous médiation chinoise. Le 10 mars, Riyad et Téhéran avaient surpris le monde en annonçant vouloir rétablir leurs relations diplomatiques dans un délai de deux mois, à l’issue de pourparlers secrets menés en Chine. De quoi bousculer la donne dans un Moyen-Orient marqué depuis des décennies par l’antagonisme entre les deux puissances régionales.

Pour Pékin, la victoire diplomatique est incontestable. «L’élan de détente entre les pays de la région s’est récemment considérablement intensifié», se félicitait fin mars Xi Jinping auprès du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS), selon des propos rapportés par la télévision publique chinoise CCTV. «Cela démontre pleinement que la résolution des conflits et des différends par le dialogue est […] conforme aux intérêts de tous les pays», ajoutait le leader chinois qui, en facilitant la réconciliation entre un adversaire et un allié historiques des Etats-Unis, vient de réaliser un coup diplomatique incontestable. L’Arabie Saoudite a d’ailleurs décidé de s’associer en tant qu’Etat «partenaire du dialogue» à l’Organisation de coopération de Shanghai, chapeautée par Pékin et Moscou, et qui vise à rivaliser avec les institutions occidentales.

Dans la capitale chinoise, où se trouvait au même moment le président français, Emmanuel Macron, Hossein Amir-Abdollahian et Fayçal ben Farhane «ont convenu de poursuivre la mise en œuvre de l’accord de Pékin et son application d’une manière qui accroisse la confiance mutuelle ainsi que les champs de coopération et qui aide à créer la sécurité, la stabilité et la prospérité dans la région», indique un communiqué commun publié à l’issue de leur rencontre. Double étape symbolique, la réouverture des ambassades pourrait intervenir d’ici la mi-mai, précédée d’une visite fin avril à Riyad du président iranien, Ebrahim Raïssi, à l’invitation du roi Salmane. Après sept ans de rupture, ce rapprochement pourrait augurer des changements profonds pour les multiples crises et guerres par procuration auxquelles se livraient les deux rivaux. Mais bien d’autres futures discussions seront nécessaires.

Le Yémen en route vers la fin de la guerre

Terrain de confrontation militaire le plus proche et le plus direct entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, engagés au côté de chacune des parties de la guerre civile yéménite, ce conflit devrait être le premier à trouver une solution après le rapprochement entre les deux rivaux du Golfe. «C’est une priorité absolue pour MBS, qui a probablement accepté le dialogue avec l’Iran d’abord pour se sortir du Yémen», souligne Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes. En prenant en 2015 la tête d’une coalition arabe pour s’attaquer aux rebelles houthis soutenus par l’Iran, qui venaient de s’emparer de la capitale, Sanaa, l’homme fort d’Arabie Saoudite, alors ministre de la Défense du royaume, espérait une victoire éclair qui consacrerait son pouvoir dans son pays et la région.

Au lieu de ça, il s’est retrouvé embourbé pendant des années dans une guerre meurtrière pour la population yéménite, dévastatrice pour sa stature internationale et menaçante pour la sécurité de son pays. Car les puissants missiles de fabrication iranienne lancés par les Houthis atteignaient des cibles sensibles jusque dans sa capitale, Riyad. Il est possible même que les attaques contre les installations vitales du géant pétrolier Aramco en 2019 soient parties du Yémen. «Le conflit devenait trop coûteux politiquement et financièrement pour MBS. D’ailleurs, dès le lendemain de la réconciliation à Pékin, il s’est précipité pour engager les discussions avec les Houthis», note Antoine Basbous.

Le Liban, loin de la sortie de crise

«Après le Yémen, le Liban pourrait être le prochain terrain d’expérimentation de l’accord irano-saoudien», concluait une étude du Centre arabe de recherche publiée au lendemain de la rencontre de Pékin. Guettant le moindre signal qui pourrait les extraire du gouffre politique et financier dans lequel ils sont plongés, les Libanais se prennent à espérer que le rapprochement entre les deux puissances régionales contribue à faire avancer leur cause. A commencer par une entente sur un nouveau candidat à la présidence de la République, vacante depuis la fin du mois d’octobre. Entre l’influence et le soutien historique des Saoudiens aux forces sunnites libanaises, et l’appui de l’Iran aux partis chiites, Hezbollah en tête, Téhéran a pris un ascendant considérable ces dernières années.

«Il faudrait cent ans avant que l’Iran et l’Arabie Saoudite s’entendent», disait encore Hassan Nasrallah à la veille de l’accord entre les deux pays. Non informé du dialogue par Téhéran, le chef du Hezbollah a jugé ensuite que le Liban ne serait pas concerné par ce rapprochement diplomatique. «L’Iran tient toujours les cartes au Liban à travers la mainmise du Hezbollah sur l’Etat, analyse Antoine Basbous, lui-même Libanais. D’autant que MBS continue d’exprimer son désintérêt pour le pays. L’Arabie Saoudite pourrait toutefois mettre son veto contre un candidat à la présidence proche du Hezbollah. Ce qui favoriserait en fait la prolongation du vide à la tête de l’Etat.»

En Syrie, encore une nouvelle chance pour Bachar al-Assad

Le processus de réhabilitation de Bachar al-Assad par les monarchies du Golfe avait commencé bien avant l’accord irano-saoudien. Le dictateur syrien a profité du séisme qui a frappé le nord de la Syrie en même temps que la Turquie début février, recevant une aide humanitaire massive des pays du Golfe. Puis il a été reçu en visite officielle aux Emirats et à Oman. Autant d’ouvertures qui lui permettent de réduire sa dépendance sécuritaire et économique envers son indéfectible allié iranien, auquel il doit sa survie à la tête de son pays depuis 2011. C’est en grande partie pour s’opposer à l’influence de l’Iran que les pays arabes, Arabie Saoudite en tête, ont soutenu les premiers temps la révolte et la rébellion contre le régime syrien.

Mais la page de la guerre par procuration ente Iran et Arabie Saoudite, qui soutenaient respectivement les camps adverses en Syrie, est tournée depuis un certain temps. Riyad n’était plus impliqué depuis un moment en Syrie mais résistait à une normalisation avec le régime. «Pour les Saoudiens, le problème qui les intéresse en priorité avec Bachar al-Assad, c’est le captagon, qui débilise la jeunesse saoudienne», souligne Antoine Basbous. La drogue de synthèse produite massivement en Syrie, classée désormais narco-Etat par Washington, inonde le marché saoudien en particulier. Mais Riyad pourrait négocier avec le régime de Damas pour réduire son trafic. Sur ce sujet, la nouvelle entente avec l’Iran ne devrait pas avoir d’impact direct.

Pour Israël, la grande désillusion

«Aux Etats-Unis et en Israël, l’accord a sans doute provoqué la consternation», estime Maha Yahya, directrice du centre Carnegie Moyen-Orient. Dans un article intitulé «Un arrangement révolutionnaire», publié au lendemain de l’annonce du rapprochement irano-saoudien, la chercheuse souligne que «pour Israël, l’objectif de créer une alliance régionale contre l’Iran est sapé». En effet, les accords d’Abraham conclus en 2020 sous l’impulsion de l’administration Trump pour la normalisation des relations entre Israël et quatre pays arabes, Emirats arabes unis (EAU) en tête, ont représenté une percée significative notamment pour le renforcement d’un front anti-iranien.

«La stratégie israélienne d’intégrer à terme l’Arabie Saoudite aux accords d’Abraham, même s’il fallait attendre formellement la disparition du roi Salmane, qui s’oppose à une normalisation sans une solution de la question palestinienne, se trouve gravement mise à mal par le rapprochement irano-saoudien», indique Antoine Basbous. «Le revirement isole de fait les autres signataires des accords d’Abraham dans le Golfe : EAU et Bahreïn», poursuit le directeur de l’Observatoire des pays arabes. A cette nouvelle donne s’ajoutent les tensions récentes, en raison des orientations du gouvernement extrémiste israélien actuel et de la répression contre les Palestiniens, qui provoquent de plus en plus la colère des pays arabes.

La Chine, principale gagnante au Moyen-Orient

Il est encore prématuré de mesurer à quel point une nouvelle entente entre l’Iran et l’Arabie Saoudite pourrait désamorcer les tensions dans la région, ou de savoir lequel des deux partenaires en tirera le plus d’avantages et d’influence. «Mais il est clair que les Etats-Unis sont pris à revers et paient leur désengagement au Moyen-Orient», estime Antoine Basbous. «L’accord irano-saoudien ne souligne pas seulement la perte d’influence des Etats-Unis au Moyen-Orient. Il s’agit d’un bouleversement fondamental dans la géopolitique régionale», estime de son côté Maha Yahya, du centre Carnegie Moyen-Orient. Car, dans le même temps, la Chine s’engage de plus en plus dans la région, avec l’avantage d’avoir la confiance des acteurs locaux majeurs. Le vrai premier test pour Pékin sera le Yémen, où MBS attend de voir si la Chine saura convaincre l’Iran de stopper ses cargaisons d’armes vers les rebelles houthis, qui se poursuivaient encore ces dernières semaines.

Par Hala Kodmani (Libération)

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
twitter   |