26/09/2001 Texte

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Arabie Saoudite : Tensions avec l'allié américain

Riyad contraint au grand écart

Le royaume a rompu ses relations diplomatiques avec le régime des talibans, mais déclare refuser que Washington lance des attaques aériennes contre un autre Etat musulman depuis ses bases militaires. A l’époque de la guerre du Golfe, les Américains étaient littéralement chez eux dans le «sanctuaire» saoudien. Aujourd’hui, l’alignement de Riyad sur Washington paraît moins enthousiaste.

Seul le Pakistan continue encore à reconnaître le gouvernement de Kaboul. Après les Emirats arabes unis, samedi dernier, le royaume d’Arabie saoudite a annoncé, hier, avoir rompu toute relation avec le régime taliban. Il répond ainsi à la volonté des Etats-Unis de voir l’Afghanistan totalement isolé diplomatiquement. L’alignement saoudien sur Washington n’est toutefois plus aussi total qu’à l’époque de la guerre du Golfe. C’est ainsi que Riyad a fait savoir qu’il n’autoriserait pas les Etats-Unis à utiliser ses bases militaires pour leurs futurs raids. Une décision survenue après que les Etats-Unis eurent annoncé que le général Charles Wald, commandant de leurs forces aériennes, avait gagné la base «Prince Soltan» d’où il entend diriger les opérations américaines.

Coup de froid

« En Arabie saoudite, la loi religieuse proscrit absolument que des troupes non musulmanes foulent le sol du pays considéré comme sacré », rappelle Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes à Paris et auteur de « L’islamisme, une révolution avortée? ». « Au moment de la guerre contre l’Irak, cela pouvait encore à peu près se justifier puisqu’il s’agissait de défendre un pays musulman agressé, le Koweït. Aujourd’hui, le contexte est différent et l’Arabie saoudite ne peut se permettre de servir volontairement de base arrière pour des frappes contre un autre pays musulman ». Antoine Basbous est cependant convaincu que les Etats-Unis passeront outre.

Elie Kheir, spécialiste du Proche-Orient à l’Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris, voit dans ce différend « une preuve de plus que le climat s’est refroidi entre les deux alliés. Il y a désormais des tensions et elles datent d’avant le 11 septembre ». Parmi les exemples récents, il y a le refus du prince héritier Abdallah de se rendre à Washington ce printemps pour protester contre la politique américaine dans le conflit israélien ou, encore, l’annulation par les Saoudiens, le mois passé, d’une réunion de routine aux Etats-Unis entre les deux états-majors.

Limogeage suspect

C’est avec cette même clé que certains observateurs décryptent le discret limogeage, fin août, du très puissant chef des services secrets saoudiens, le prince Turki al-Fayçal, en poste depuis 1977. Officiellement, il aurait été écarté pour avoir échoué à obtenir des Talibans l’extradition d’Oussama ben Laden, un de ses anciens agents comme le souligne « Intelligence online » qui révélait l’information début septembre. Mais Turki al-Fayçal était aussi l’homme de liaison avec la CIA et «Intelligence online» y a vu un renforcement de l’autorité du prince Abdallah, un homme beaucoup plus réticent que son demi-frère, le roi Fahd, à la politique d’allégeance saoudienne face à Washington. Or, si le roi est toujours sur le trône, sa santé chancelante l’a conduit à attribuer le titre de vice-roi à Abdallah et, de facto, à lui confier la direction du pays.

Allah contre Marx

L’alliance qui, jusqu’ici, lie Washington et la monarchie saoudienne a été véritablement scellée à la fin de la Seconde Guerre mondiale. « Le roi Abdel Aziz et Roosevelt se sont rencontrés au retour du président américain de la Conférence de Yalta, rappelle Antoine Basbous. C’est là que le « deal » a été conclu, les Américains voulaient le pétrole saoudien et, en échange, ils offraient leur protection ». Lors de la guerre froide, l’Arabie saoudite, avec son interprétation rigoriste du Coran et ses pétro-dollars, permet aussi aux Etats-Unis de construire une barrière religieuse contre l’Union soviétique et le communisme, partout où l’islam est présent. La stratégie de la « Ceinture verte » verra ainsi Washington encourager la constitution du Pacte islamique sous la houlette de l’Arabie saoudite. Elle connaîtra son apogée au cours de la guerre d’Afghanistan.

Dictature de fer

Aujourd’hui, la monarchie saoudienne est donc contrainte au grand écart. D’un côté, elle ne peut s’aliéner les Etats-Unis dont elle dépend militairement et économiquement. De l’autre, elle est la cible du ressentiment du monde musulman en raison même de cet assujettissement. Mais le danger est aussi intérieur. L’Arabie saoudite a beau être une dictature de fer, un régime dont Washington d’ailleurs s’est toujours accommodé, elle doit aussi tenir compte de sa population. Là aussi, une sorte de pacte avait été passé : « Nous vous assurons le bien-être matériel, disait la famille régnante, vous ne vous occupez pas de la conduite du pays ». Mais avec la baisse des revenus du pétrole et l’apparition d’un chômage que certains estiment dépasser les 15%, la monarchie ne remplit plus sa part du contrat. Et ses sujets pourraient bien, eux aussi, ne plus le respecter.

Anne Kaufmann

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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