10/05/2023 Texte

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Liban : un Etat en vacance, un peuple en souffrance

Alors que le pays est privé de président depuis le mois de novembre, les Libanais subissent l’inflation galopante, les pénuries d’électricité et l’effondrement du système bancaire. Et ne survivent pour la plupart que grâce à l’argent envoyé par la diaspora.

Même s’il n’est pas officiellement déclaré comme tel, décrire le Liban comme «Etat failli» ou «défaillant» semble pourtant un euphémisme compte tenu de la réalité dans le pays. Avec un gouvernement démissionnaire aux pouvoirs réduits, un Parlement déserté par ses députés, et sans président de la République depuis sept mois, les institutions politiques sont paralysées. L’appareil judiciaire est bloqué par des interventions politiques qui entravent notamment l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth en 2020. L’effondrement du système bancaire en 2019 a souligné la banqueroute de l’Etat et entraîné la ruine des déposants, privés d’accès à leurs avoirs. Le directeur de la Banque centrale est poursuivi par plusieurs enquêtes internationales pour «malversations» et «corruption». La crise économique et financière, décrite comme «sans précédent», se traduit par une dévaluation vertigineuse de la monnaie libanaise, une inflation recalculée trois fois par jour, et le classe à 80 % sous le seuil de pauvreté.

«Désastre silencieux»

Au milieu de ces désastres accumulés, les quelque 5,5 millions d’habitants survivent au quotidien, par une nouvelle version très cynique du fameux «miracle libanais». Et ce, grâce, en grande partie, aux expatriés qui permettent à leurs familles restées sur place de ne pas sombrer dans la misère. Près de 7 milliards d’euros par an ont été envoyés ces deux dernières années par les expatriés libanais en Europe, en Amérique ou dans les pays du Golfe. Ces fonds représentent désormais les seules sources de revenus pour de nombreux foyers au Liban, enfoncé selon la Banque mondiale dans une des pires crises financières jamais connues. L’institution internationale classe le pays au deuxième rang mondial en termes de contribution au PIB des transferts de la diaspora (37,8% en 2022).

«Sans cet apport vital, on aurait vu une véritable révolution exploser dans le pays», note Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes. «Les Libanais sont dans la survie, résume l’expert libanais. Leur quotidien est programmé en fonction des rares heures d’électricité et des variations des prix de l’essence ou de l’alimentation, qui grimpent de jour en jour.» Disposer de l’électricité est devenu une obsession autant qu’un marqueur social. «La crise peut être invisible pour les visiteurs ou touristes au Liban. Hôtels et restaurants de luxe sont éclairés, chauffés ou climatisés, mais le désastre silencieux touche une majorité de démunis», poursuit Basbous. Tandis qu’une petite minorité de privilégiés peut se payer un générateur à plein temps, la plupart doivent attendre les quelques heures quotidiennes d’électricité publique pour mettre en marche une machine à laver ou monter un bagage lourd dans un ascenseur. Quant à la hausse des prix des produits de base, elle occupe autant les conversations entre Libanais que leur temps, passé à débusquer les marchés et magasins les plus avantageux.

Tergiversations

Les bases d’une sortie de crise économique pour le Liban sont pourtant bien définies depuis quelques années par les institutions internationales, mais l’absence de volonté politique dans le pays en bloque la mise en œuvre. Après moult tergiversations, un accord de principe avec le Fonds monétaire international (FMI) a été conclu en avril 2022, mais le Liban doit «engager des réformes cruciales pour débloquer les aides afin de relancer l’économie du pays», a encore insisté en mars un responsable du FMI, à l’issue d’une mission à Beyrouth, déplorant la lenteur de la mise en œuvre des réformes par les dirigeants politiques.

«Toutes les institutions sont phagocytées, dévalorisées, ravagées, dénonce Antoine Basbous. La seule véritable autorité en place est celle du Hezbollah, qui tient toutes les cartes en main en bloquant tout, créant le vide pour imposer ses propres choix aux postes les plus importants de l’Etat, à commencer par la présidence de la République.» L’option de son candidat, Sleiman Frangié, pourrait-elle aboutir, notamment avec le soutien tacite de la France ? L’incertitude risque de se prolonger encore quelques semaines, voire quelques mois ou plus. Entre-temps, la vacance institutionnelle pourrait s’aggraver cet été avec la fin du mandat, en juillet, du gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, mais aussi celle, en août, du chef de l’armée. Tous les deux sont normalement nom¬més par le président de la République.

Hala Kodmani (Libération)

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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