01/12/2000 Texte

pays

<< RETOUR

La superpuissance dans un bourbier

Revue du Mouvement Juif Libéral de France N° 96 – Décembre 2000

Antoine Basbous, Directeur de l’Observatoire des Pays Arabes, auteur de « L’Islamisme, une révolution avortée ? », chez Hachette, estime que « cette mouvance, aujourd’hui défaite, peut renaître de ses cendres et incarner de nouveau le mécontentement populaire né de l’humiliation face à l’Etat d’Israël et de l’impuissance des pays arabes à relever le défi de la modernité ». Il s’inscrit aussi dans une perspective plus ouverte à l’islamisme que Gilles Kepel, auteur de « Jihad, expansion et déclin de l’islamisme » (Gallimard). L’auteur de « A l’ouest d’Allah » (au Seuil), remarqué à sa sortie en 1995, souligne en effet que « tout indique aujourd’hui que l’heure du post-islamisme a sonné, et que les sociétés musulmanes vont entrer de plein pied dans la modernité, selon des modes de fusion inédits avec le mode occidental ».

Les Palestiniens sont désespérés. Ils ont le sentiment d’avoir été « floués ». Depuis les accords de paix, la colonisation s’est accélérée, leur quotidien ne s’est pas amélioré, le processus dont les étapes ne sont pas respectées n’en finit plus. Dans notre appréciation du conflit, il ne faut donc pas négliger la dimension psychologique : les Palestiniens sont aussi fiers que les juifs ; leurs livres saints leur disent qu’ils sont la meilleure communauté ; ils se considèrent, eux aussi, un peuple élu. Le peuple palestinien ne saurait donc se soumettre et se sentir diminué. Il a besoin de cet honneur récupéré, de reconnaissance d’un Etat libre et indépendant sur un espace qui ne soit pas morcelé. Or Israël ne lui laisse pas toujours l’occasion de se sentir considéré, un peu égal. Le drame donc c’est que les dirigeants actuels d’Israël réfléchissent au problème sur un plan technique, en négligeant les dimensions politique et psychologique.

De plus, dans cette guerre d’usure, Israël se retrouve sans doute avec une armée forte mais qui a du mal à répliquer du fait de l’imbrication des populations et de l’absence de véritables frontières. Ainsi, il est clair qu’Israël est capable de vaincre l’ensemble des pays arabes réunis mais incapable de sortir d’un « bourbier » intérieur, face à des Palestiniens armés de pierres. Et pour son image à travers le monde, Israël a intérêt à méditer sur cette expérience de surpuissance mais aussi d’incapacité. Jusqu’à présent, le peuple juif se présentait comme une victime de tant d’atrocités, aujourd’hui on le présente comme celui qui agresse. De plus, son image d’Etat invincible est écornée : l’évacuation du Liban a été perçue comme une défaite, à quoi s’ajoute l’enlèvement des quatre militaires par le Hezbollah.

Il faut, en tout état de cause, des hommes d’Etat à la légitimité reconnue, qui aient une vision et la capacité à distinguer le stratégique et à commander les sacrifices. Or, Israël vit sur une contre-vérité : tous les Israéliens nés après 1967 considèrent que leur espace s’étend du Jourdain à la mer. En fait, les Palestiniens demandent à vivre sur les territoires conquis justement lors de la guerre du Kippour.

Scénarios possibles

Yasser Arafat incarne les Palestiniens depuis les années 60. Il est le symbole, le drapeau de ce peuple. Il est en symbiose avec lui. Et, confronté à des demandes inacceptables, il sait jusqu’où ne pas aller. Ainsi, sur la question des Lieux saints, il n’y a pas de solution. C’est une querelles de prophètes et les hommes ne sont pas en mesure de la trancher. Le triangle sacré de Jérusalem doit être confié à une souveraineté internationale, au Conseil de sécurité. La raison en est simple : aucun dirigeant israélien ou palestinien ne pourra en effet céder sur ces points. Ce que peut obtenir Israël des Palestiniens c’est qu’ils s’engagent dans leur futur Etat (comme l’Allemagne et le Japon au lendemain de la seconde guerre mondiale) à ne pas avoir d’armes lourdes, ni à permettre le stationnement de forces étrangères sur son sol. Mais Israël ne peut obtenir que des territoires conquis par la force soient l’objet d’un marchandage permanent. Il le sait bien : le règlement passe par une clarification, par un abandon de la politique des petits pas qui incite les Palestiniens à en demander d’autres. Et Israël, qui est le plus fort, peut se montrer juste en rendant aux Palestiniens ce qui leur appartient et en s’engageant dans les nombreux domaines où la coopération est de l’intérêt des uns et des autres.

La place de l’islamisme

L’islamisme est une forme militante de l’Islam. C’est un refuge quand cela va mal. : on tend alors à aller vers l’extrême, le radical.

Dans le tableau de la défaite arabe généralisée, on ne trouve qu’un seul succès, récent, l’expérience du Hezbollah au Liban. Ce précédent a été valorisé dans le monde arabe : le drapeau jaune de ce mouvement flotte partout jusque dans les capitales arabes, sunnites, l'Egypte, le Yémen, l’Arabie saoudite. C’est, en effet, la seule voie qui ait montré son efficacité face à Israël. On veut tout naturellement l’imiter. Cette réalité doit être méditée par Israël mais aussi par les pays arabes qui peuvent être débordés par leur peuple.

De ce point de vue, l’ampleur de la nouvelle Intifada montre qu’il ne s’agit pas d’une manipulation mais d’une adhésion, d’un mouvement de fond que certains chefs palestiniens tentent d’ailleurs de freiner mais en vain, ou de récupérer.

Propos recueillis par J.L.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
twitter   |