10/03/2001 Texte

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Réfugiés, l’immigration, conséquence des indépendances ratées

Gérer l’impondérable

Comment peut-on encore s’étonner en voyant débarquer, sur les côtes de l’Europe, dans ses ports, dans ses aéroports ou grâce aux conteneurs qui franchissent ses frontières, des milliers de clandestins tous les mois ? Le Vieux continent ne constitue-t-il pas cet espace de liberté et de prospérité qui attire tant de désespérés de la terre qui aspirent à une vie meilleure et qui fuient leur sombre quotidien et l’absence de perspectives d’avenir pour eux-mêmes et pour leur descendance ?

Ce constat sanctionne, au premier chef, les échecs des indépendances issues de la décolonisation. Les pays stables ayant réussi à prospérer, à établir un ordre économique et social satisfaisant, tout en respectant les droits de l’homme, restent l’exception dans la série des jeunes Etats indépendants. Les Européens, qui n’avaient pas demandé aux autochtones l’autorisation de débarquer sur les côtes de leurs ex-colonies, font aujourd’hui l’objet d’un débarquement inversé, mais pacifique, de ressortissants assoiffés de bien-être et de liberté qui tentent un sauve-qui-peut en s’exilant dans des pays prospères et apaisés.

Beaucoup de peuples qui vivent dans des régimes réfractaires à la démocratie qui usent et abusent de « l’état d’urgence » au sud et à l’est de la Méditerranée – mais pas exclusivement – sont dans un état de désespoir profond. Leur chance d’accéder à un standard de vie acceptable se réduit au fil des jours. Ils souffrent d’un manque constant de liberté, d’une répression quasi systématique, d’une corruption qui empêche l’établissement d’un Etat de droit, des élites immuables et des chefs d’Etat qui se drapent du qualificatif « démocratique » et s’octroient des scores supérieurs à 99% des suffrages lors des consultations populaires marquées par la fraude. Ils ne quittent le pouvoir que renversés ou emportés par une mort naturelle

Bien que l’économie de leur pays d’origine soit très attardée, ces ressortissants disposent d’un seul instrument de la modernité : la parabole et le poste de télévision. Cet objet « magique » est l’ennemi du statu quo et de l’ignorance. Il permet de contredire les « mensonges d’Etat » et de relativiser les sacrifices exigés de la population sous prétexte de « causes sacrées » destinées à justifier la médiocrité de la vie quotidienne. Il fait rêver ces peuples, condamnés à la pauvreté. Il leur montre la vie dans les sociétés prospères qui tolèrent la différence, qui octroient la liberté à ses membres et aux ressortissants étrangers et où l’ascenseur social est une réalité… Bref, une société dont on aspire à y appartenir.

Conscients de l’écart entre les deux « mondes », les plus déterminés prennent des décisions douloureuses. Car, quitter sa famille, son village, sa région, son mode de vie pour atterrir dans un pays dont on ne connaît pas toujours la langue, dont on ne partage pas les mœurs et dont on a peu d’espoir de surmonter les difficultés liées à l’intégration, n’est pas une mince aventure. Mais la faillite dans laquelle se trouve leur pays d’origine pousse ces desperados à tenter cette aventure pour s’installer en Occident. Ici, les migrants ont la certitude d’échapper à la répression, alors qu’ils avaient l’habitude de trembler devant leurs polices nationales. Ils ont la certitude qu’ils auront des droits, que les procédures seront respectées et que, in fine, ils ont une chance de pouvoir y refaire leur vie, y fonder – surtout pour leur descendance – un avenir souriant.

Ces réfugiés n’ignorent rien de l’Eldorado européen touché par le vieillissement de la population, par le déficit de la main d’œuvre (qualifiée) et où « Dieu » a été « avantageusement » remplacé par les prestations de la Sécurité sociale. En outre, le succès des uns fondent l’espoir des autres. Car l’échec des émigrés reste rare en comparaison avec la situation de leurs proches restés au pays.

Le paradoxe est saisissant : la richesse se trouve dans le Nord qui se dépeuple à vue d’œil et la pauvreté, doublée d’une importante croissance démographique, continuent à caractériser le Sud. Il devient alors extrêmement difficile de stopper net cet impondérable mouvement de populations qui tendra, jour après jour, à s’accélérer.

Dans l’attente de voir les pays du Sud se réformer, lutter contre leur propre corruption, se démocratiser et adhérer à la modernité, l’Union européenne restera dans l’immédiat la cible prioritaire de ces migrations. Et si les pays de l’Union devaient refuser d’être submergés par un flux qui échappe à leur maîtrise, ils seraient dans l’obligation de revoir leur dispositif législatif, social et policier pour prévenir, et non plus subir, ce flux migratoire. Car si l’Europe a besoin de nouveaux bras pour entretenir la croissance économique en cours et pour assurer la relève des générations, elle devra surtout maîtriser l’affluence des nouveaux immigrants pour leur offrir une intégration harmonieuse et non pour les condamner à s’enfermer dans de nouveaux ghettos.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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