20/02/1995 Texte

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La Jordanie quatre mois après l'accord avec Israël

Amman attend encore de convertir la paix en retombées économiques

La seule perspective d'un accord de paix avec Israël s'est traduite par des remises immédiates de dettes à la Jordanie. Si les indicateurs économiques du Royaume paraissent plutôt bons, hors endettement et chômage, de nombreuses incertitudes liées à la paix demeurent encore.

En concluant en octobre dernier l'accord de paix avec Israël, le roi Hussein a arrimé, avant ses voisins, son pays au processus régional de paix. Il s'est au passage assuré de solides soutiens, parmi lesquels celui des Etats-Unis. Mais il a enclenché un mouvement dont l'issue reste à ce jour encore incertaine. « La paix dans la région est dans les textes, mais pas dans les cœurs », résume Antoine Basbous, directeur de l'Observatoire des pays arabes.

Vis-à-vis de l'extérieur, la Jordanie se trouve au confluent de courants arabes divergents et hostiles: la Syrie a une vision différente de la paix; l'Arabie Saoudite entretient une rancune profonde à l'égard d'Amman depuis la guerre du Golfe. A l'intérieur du Royaume, la situation n'est guère plus limpide. La menace islamiste est loin d'être négligeable: résolument hostiles à la paix, les fondamentalistes détiennent 16 sièges de députés sur 80. Ces pressions sont perçues avec d'autant plus de sérieux qu'une inconnue majeure demeure vis-à-vis de la population du Royaume : « A terme, le pouvoir sera confronté à sa propre démographie », poursuit Antoine Basbous. De fait, que vont faire les Palestiniens, qui représentent 60 % de la population jordanienne aujourd'hui ? S'ils tiennent les rênes de l'économie, ils sont en revanche exclus de la haute administration, de la diplomatie et de l'armée. La création d'un Etat palestinien peut inciter ces hommes d'affaires à aller y investir. Encore faut-il, pour cela, que Yasser Arafat parvienne à développer un Etat palestinien homogène et stable, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.

Croissance et faible inflation

Qu'il réussisse ou non, le leader de l'OLP se pose dès à présent en rival du souverain hachémite: chacun des deux dirigeants souhaite en effet régner sur le peuple palestinien. De quoi alimenter les tensions entre les deux dirigeants. L'accord de janvier dernier, conclu entre Yasser Arafat et le roi Hussein, et destiné à normaliser les relations jordano-palestiniennes constitue un facteur de détente. Mais la compétition demeure. Sur le terrain économique, la Jordanie a incontestablement une longueur d'avance, qu'elle compte bien conserver avec l'accord de paix. L'an dernier, le PIB a augmenté de 5,5 %, et le taux d'inflation s'est limité à 5 %. Même si l'endettement extérieur reste énorme par rapport à la dimension du pays (6 milliards de dollars fin 1994) et le chômage important _ il touche près de 20 % de la population_, l'économie jordanienne profite du dynamisme du secteur privé, qui dispose d'environ 12 milliards de dollars de réserves, dont la moitié dans le Royaume. En outre, la paix avec Israël a d'ores et déjà donné lieu à plusieurs remises de dettes, dont celle des Etats-Unis (702 millions de dollars sur trois ans). Le Royaume-Uni a pour sa part annulé une créance de 100 millions de dollars, l'Allemagne de 52 millions et la France de 5 millions. Un rééchelonnement sur vingt ans portant sur 1,2 milliard de dollars de dettes est par ailleurs intervenu en Club de Paris en juin 1994, juste après la signature d'un accord avec le FMI, dont l'aide totale atteint désormais 230 millions de dollars sur trois ans. Comme pour mieux montrer l'importance qu'il compte aujourd'hui donner à l'économie, le roi vient de procéder à un changement de gouvernement et a fait adopter un budget 1995 qualifié de « réaliste » par les experts. Peu différent de celui de 1994, il comporte néanmoins un compte spécial (390 millions de dinars, soit environ 2,5 milliards de francs) d'investissements nouveaux à définir dans le cadre du processus de paix.

Reste maintenant à savoir si les investisseurs vont prendre le chemin de la Jordanie. Si la réouverture attendue du marché irakien, toujours soumis à embargo, profitera tout naturellement à la Jordanie, les investisseurs potentiels doivent pour l'instant s'appuyer principalement sur les dividendes de la paix. De ce point de vue, le sommet d'Amman de fin octobre constituera un signal important. Les autorités françaises ont d'ores et déjà adopté une attitude « ouverte » sur la Jordanie, destinée sans doute à montrer que les risques restent pour l'instant inférieurs aux perspectives du marché: les exportations l'an dernier ont dépassé le milliard de francs, stimulées par les premières livraisons des grands contrats conclus en 1993 et 1994.

GRANDI Michel de

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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