29/02/2000 Texte

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La mue du Hezbollah

Depuis les années 80, le Parti de Dieu a changé, il risque demain d'échapper à ses soutiens d'Etat.

Le Hezbollah a réussi son intégration politique avec neuf députés au Parlement libanais.

Comment expliquer l'émotion si intense, dans les pays arabes, qu'a suscitée la petite phrase de Lionel Jospin, qualifiant de «terroriste» l'action du Hezbollah? La réalité est que ce parti a forcé l'admiration des populations arabes pour sa capacité à infliger des pertes à Tsahal, longtemps réputée invincible. Aucun autre mouvement ou armée arabes n'avaient réussi à marquer des points face à l'armée israélienne. Le Hezbollah est soutenu par une opinion publique avide de briser la suprématie israélienne, tout en étant redouté par une majorité des gouvernements qui ont opté pour le soutien inconditionnel aux efforts de paix américains. Par son action, le Hezbollah chiite «sauve l'honneur des Arabes».

L'originalité du Hezbollah au sein du paysage islamiste arabe est qu'il représente l'unique formation qui bénéficie d'un franc soutien étatique, indispensable pour prospérer et rencontrer le succès. Les récents propos du Premier ministre français n'ont fait que renforcer la notoriété du Parti de Dieu en contraignant les pays arabes à prendre publiquement position en sa faveur et en lui attribuant le qualificatif très valorisant de «résistance».

Aujourd'hui, le Hezbollah n'est plus ce parti qui, tout au long des années 80, enlevait et séquestrait les ressortissants occidentaux au Liban, ou attaquait les positions des armées occidentales venues au secours des Palestiniens, au lendemain de l'invasion israélienne de 1982. Il fut, à cette époque de «guerre froide», l'instrument privilégié d'une large coalition comprenant l'Union soviétique, qui rejetait la présence des armées occidentales au Liban, la Syrie, qui occupait déjà la majeure partie du pays du Cèdre et qui en faisait une «chasse gardée», l'Iran de Khomeiny, qui s'est chargé d'endoctriner le Hezbollah, et la Libye, qui finançait les opérations militaires.

Après l'effondrement de l'URSS, la longue mise en quarantaine du colonel Kadhafi, l'élection du président réformateur Khatami, en Iran, et les succès électoraux remportés par son courant depuis trois ans au détriment des radicaux, qui avaient parrainé le Hezbollah, seule la Syrie continue à couver et à commanditer les actions audacieuses de ce parti qui a fait changer la peur de camp au Sud-Liban et a réussi sa communication grâce aux films vidéo qui attestent des opérations de ses militants. Les aides logistiques dont il a bénéficié ont toujours transité par Damas. Aujourd'hui, les services secrets de ce pays sont réputés pour avoir beaucoup d'influence sur le Parti de Dieu, dont ils font un instrument de leur stratégie régionale. L'objectif de Damas est de «fixer» Israël au Sud-Liban, où il n'a que des coups à prendre, de lier son retrait de ce territoire avec celui du Golan, et, enfin, de montrer que le Liban, avec cette puissante milice qui peut mobiliser jusqu'à vingt mille hommes, ne peut se passer du «concours fraternel» de l'armée syrienne pour y maintenir la «sécurité».

Ce parti a réussi son intégration politique avec neuf députés au Parlement libanais et son insertion socio-économique par le biais d'un dense réseau d'aide sociale (dispensaires, écoles...). Le risque est de voir le Hezbollah échapper à ses derniers «maîtres», à l'instar des «Afghans arabes», qui ont participé à la guerre contre l'armée Rouge en Afghanistan et qui ont voulu prolonger leurs succès en renversant par la violence les régimes établis dans leurs pays d'origine, notamment en Arabie, en Egypte ou en Algérie. Cette perspective est d'autant plus redoutée que deux autres coalitions islamistes - sunnites cette fois - se sont implantées et développées à Tripoli et à Saïda, aux côtés du Hezbollah. Quelles garanties pourrait fournir la Syrie quant au démantèlement de ces formations qui ont prospéré à l'ombre de son occupation du Liban? D'ailleurs, de quelle stabilité disposerait le régime syrien, qui bat un record de longévité avec un règne de trente ans pour le président Assad? Comment se passerait la succession que le président syrien est en train de mettre en place au profit de son fils Bachar?

Ces questions sont d'autant plus légitimes qu'une entente syro-israélo-américaine se serait conclue sur le dos du Liban. Car les trois pays semblent s'accorder à offrir à la Syrie un plus grand rôle au pays du Cèdre.

En effet, le Liban a été exclu des négociations qui se déroulent aux Etats-Unis, depuis décembre, et dont il est l'un des principaux objets. Aussi, Beyrouth ne se manifeste, militairement, que par le biais du Hezbollah. Cette double démission du gouvernement libanais est aggravée par le mépris de Bill Clinton, qui n'a pas pris la peine d'appeler son homologue libanais pour l'entretenir de la marche des négociations, encore moins de l'y convier, alors qu'il a téléphoné à la plupart des chefs d'Etats arabes.

Le jour où le combat militaire du Hezbollah aura passé de mode, il ne manquera pas de créer quelques problèmes à ses «dompteurs», qui pourraient se retrouver, eux-mêmes, en fin de parcours. Ce parti, bien qu'il serve la stratégie d'une puissance étrangère au Liban, sortira grandi du conflit qui l'oppose à Israël grâce à ses exploits militaires et à ses «martyrs». Cette formation endoctrinée posera alors de nouveaux soucis à son environnement régional, dont le moindre n'est pas celui de refuser toute «normalisation» culturelle et économique avec l'Etat hébreu.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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