19/02/2005 Texte

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La Syrie joue la stratégie du «croissant chiite»

Après l'assassinat de Rafic Hariri à Beyrouth

Il serait trop naïf de continuer à penser que le régime népotique des Assad en Syrie puisse être réformable. La question qu'avait posée Ronald Reagan au cardinal maronite Khoreïch, en le recevant à Washington il y a plus de vingt ans, sur la «récupérabilité» du régime syrien n'est plus d'actualité. La communauté internationale est désormais instruite et échaudée par son expérience avec Damas. L'Etat syrien a pris une dimension régionale non grâce à l'excellence de ses apports à la modernité, ni au rayonnement de ses élites, ni à la qualité de ses universités, encore moins aux richesses de son sous-sol, mais en raison de la redoutable arme du terrorisme d'Etat, maniée avec tant de brio par Hafez el-Assad.

Dépositaire de l'héritage, son fils Bachar n'a pas montré qu'il était à la hauteur de la tâche. Il à grand-peine à s'imposer sur les «barons» du régime. Son autorité est même contestée par son colonel de frère, sa soeur et son général de mari, les chefs des services de renseignement et les radicaux thuriféraires du Baas. La faiblesse du jeune président – tiraillé entre la vieille garde et les jeunes loups de son clan familial – et son déficit d'expérience l'ont poussé à commettre d'irréparables erreurs au Liban, dont les trois dernières sont : la prorogation du mandat du président Lahoud, alors que les candidats issus de l'écurie syrienne étaient légion ; la tentative d'assassinat de Marouan Hamadé, coupable d'avoir démissionné du gouvernement et d'avoir appuyé la résolution 1559 de l'ONU qui ordonnait le retrait syrien du Liban ; enfin l'assassinat de Rafic Hariri, l'un des hommes les plus protégés de la planète. Ses convois blindés aux vitres tintées partaient dans plusieurs directions pour semer l'ennemi. Ils étaient précédés par une voiture de balayage électronique censée faire exploser toute charge qui fonctionne avec un système de contrôle à distance. Ces mesures n'ont pas suffi à protéger Hariri d'une action menée avec les moyens de services professionnels et sophistiqués.

Pourtant la France comme les Etats-Unis avaient averti la Syrie de ne pas toucher à l'intégrité physique des dirigeants de l'opposition, en citant nommément Hariri et Joumblatt. Lors de son entretien avec Assad, il y a quelques semaines, Richard Hermitage, le secrétaire d'Etat adjoint américain, lui a reproché d'avoir attenté à la vie de Hamadé. Le Syrien a farouchement nié y être pour quelque chose et a livré au diplomate américain le nom de deux généraux de l'armée et de la Garde républicaine libanaises qui avaient organisé l'attentat. Hermitage a répondu qu'ils avaient agi sur instruction syrienne !

Quant à Hariri, il a confié à ses proches la teneur du message délivré en janvier 2005 par le chef des services de renseignements syriens au Liban, le général Roustom Ghazalé, qu'il venait de recevoir à son domicile. Ce dernier avait brandi son pistolet en sommant Hariri de choisir entre la Syrie et la résolution 1559. Il a également confié le chantage dont il faisait l'objet : les Syriens prétendent détenir l'enregistrement d'une communication téléphonique entre Hariri et un président européen et qui atteste de sa «trahison». Nous connaissons la suite. Le régime policier des Assad ne tolère que des vassaux.

Le fils Assad ne semble pas avoir saisi la portée des changements intervenus depuis la disparition de l'URSS et la fin de l'époque stalinienne, la désolidarisation des Arabes, les conséquences du 11 Septembre, l'installation de l'armée américaine sur ses frontières orientales, la forte entente franco-américaine sur le besoin de ressusciter la démocratie libanaise, dont la condition sine qua non est le retrait de l'armée d'occupation syrienne. Mis au pied du mur par les pressions franco-américaines, Damas a fait l'évaluation suivante : un éventuel retrait du Liban lui fera perdre une source inestimable de recettes financières, son prestige et une carte majeure dans la région. De plus, le repli sur Damas sonnerait le glas du régime alaouite minoritaire, qui tomberait aussitôt.

«Aux Occidentaux la parole, à nous les actes ; l'opposition libanaise sera terrorisée et se couchera» ; cette formule semble résumer l'état d'esprit de la direction syrienne. Mais l'assassinat de la personnalité la plus illustre du monde sunnite – capable de joindre Jacques Chirac, George Bush, Gerhard Schröder, Tony Blair, Hosni Moubarak ou le roi d'Arabie – n'a pas découragé le duo franco-américain, ni l'opposition libanaise. La visite hautement symbolique de Jacques Chirac à Beyrouth et le message qu'il y a délivré n'ont rien à voir avec la réaction franco-américaine à l'époque de la guerre froide.

La prétention syrienne d'apporter la paix au Liban est un pur mensonge. Damas joue le rôle du pompier-pyromane. Son soutien au Hezbollah l'atteste. Avec la contribution de Téhéran, il a doté cette milice d'un armement sophistiqué dont des drones et des missiles longue portée qui font défaut à l'armée libanaise. Cette armée parallèle sert Damas et Téhéran dans leur politique avec Israël et sur la scène libanaise. Pourtant, selon l'ONU il n'y a plus de litige territorial entre le Liban et l'Etat hébreu.

Le meurtre de Hariri obéit aussi à une stratégie régionale syro-iranienne. Ses assassins ont fait d'une pierre deux coups. Ils contribuent à mettre en place le «croissant chiite», dont s'est inquiété le roi Abdallah II de Jordanie, et qui s'étendrait alors de Téhéran à Beyrouth. Le pouvoir minoritaire sunnite est tombé à Bagdad, la majorité sunnite en Syrie (85% de la population) est écrasée par la dictature alaouite, les sunnites du Liban viennent de perdre leur champion !

La communauté internationale se doit de relever le défi de la dictature syrienne. Il serait temps de sanctionner, d'isoler cet Etat voyou et de relever son armée au Liban par un corps international agissant sous mandat de l'ONU, le temps d'organiser des élections libres et de remettre le pouvoir à un gouvernement représentatif élu dans la transparence. Les obsèques de Hariri ont démontré combien les Libanais étaient soudés dans leur refus de l'occupation syrienne, combien ils étaient unis autour d'un axe patriotique transcendant toutes les communautés et combien le gouvernement libanais était isolé et discrédité. Il ne faudrait pas que la communauté internationale recule devant le défi terroriste, que le crime soit récompensé ni que l'espoir au Liban soit définitivement enterré avec Rafic Hariri, place des Martyrs.

© Le Figaro, 2005. Droits de reproduction et de diffusion réservés

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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