01/02/2006 Texte

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Caricatures : les régimes arabes récupèrent

(Papier d'Angle)

PARIS, 1 fév 2006 (AFP) - En réagissant avec virulence et de manière concertée à la publication de caricatures du prophète Mahomet au Danemark, les régimes arabes, confrontés à la pression des islamistes, tentent de récupérer "l'émotion légitime" des musulmans, estiment des experts de l'islam.

Les dessins satiriques publiés en septembre 2005 sous le titre "Les visages de Mahomet" et repris le 10 janvier dans un magazine norvégien ont suscité des réactions violentes de plusieurs gouvernements qui ont poussé le Danemark a prendre des mesures pour protéger ses ressortissants au Moyen-Orient.

Les ministres de l'Intérieur des pays arabes ont appelé mardi à Tunis le gouvernement danois à "sanctionner fermement" les auteurs de caricatures du prophète.

Des appels au boycott ont été lancés dans plusieurs pays du Moyen-Orient et d'Afrique du nord contre les produits danois et des manifestations de colère ont gagné mercredi l'Asie, avec l'Indonésie et la Malaisie.

"Cette affaire a mis trois mois à prendre de l'ampleur. Les islamistes ont été les premiers à la dénoncer mais, comme c'est une idée porteuse, les gouvernements des pays arabes ont suivi", explique Antoine Basbous, de l'Observatoire des pays arabes, basé à Paris.

"Dans ces sociétés si liées à la religion, il suffit que quelqu'un dise : +je me porte au secours du Prophète qui est malmené+ pour que tout le monde se sente obligé de suivre", ajoute-t-il.

Ghaleb Bencheikh, un exégète de l'islam, s'étonne que les régimes politiques "aient à s'émouvoir" de cette situation.

"C'est une affaire d'oulémas et d'imams", ajoute M. Bencheikh en accusant les dirigeants politiques, à la "légitimité douteuse ou inexistante", de "vouloir se refaire une virginité en se servant de cette opportunité" alors que l'Islam, selon lui, a été "perverti" et "dévoyé" dans le monde musulman.

"0ù étaient nombre ces dirigeants lorsque des femmes et des enfants se faisaient massacrer au nom de l'Islam. On ne les a pas entendus dénoncer avec force ce qui s'est passé en Algérie", où les groupes armés islamistes sont tenus pour responsables de massacres atroces dans les années 90.

"Si nous sommes arrivés à cette situation où des gens brocardent nos croyances c'est parce que nous avons contribué à les banaliser", regette-t-il.

Pour l'islamologue Malek Chebel, la réaction des dirigeants musulmans et arabes est tout simplement "hypocrite". C'est, dit-il un "cache-sexe" par lequel il veulent dissimuler leurs propres "turpitudes".

"Ils veulent se refaire une virginité face à tous les scandales engendrés par leurs régimes comme la corruption, le manque de liberté d'expression et les atteintes aux droits des femmes", dit-il.

"Cette affaire a suscité une profonde émotion dans l'opinion arabe en général et a poussé les gouvernements des pays arabes à réagir", remarque Mai Yamani du Royal Institute of International Affairs (RIIA) à Londres.

"Un pays comme l'Arabie saoudite a profité de l'occasion pour réaffirmer son rôle de gardien des lieux saints de l'Islam et de protecteur de la foi", ajoute-t-elle.

Mais ces experts de l'islam, connus pour leur modération, relèvent que les dessins incriminés comportent une "volonté de nuire" qui a provoqué une "émotion légitime" auprès des musulmans.

La liberté d'expression "n'autorise pas l'injure faite à n'importe quelle religion car représenter Mahomet en "terroriste" équivaut à représenter "la Vierge Marie en catin" ou "Moïse en train de trucider des Palestiniens", accuse M. Bencheikh.

Malek Chebel voit lui aussi dans ces caricatures une "volonté de blesser" qui relève d'une position "plus idéologique qu'artistique ou intellectuelle".

"Ces caricatures sont islamophobes. Elles divisent les gens et ne font que consolider les musulmans les plus radicaux", conclut Mai Yamani.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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