31/12/2000 Texte

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La guerre d’usure israélo-palestinienne

Du pain béni pour les islamistes

La brutalité des derniers affrontements israélo-palestiniens a enterré le processus d'Oslo laissant la place à un processus de confrontation et à une logique de guerre d'usure entre Israéliens et Palestiniens. Avec l’apparition des prémices d’une guerre civile en Galilée entre les ressortissants juifs et arabes de l'Etat hébreu et le risque d’un conflit régional.

Les multiples rencontres nouées à l’étranger n'ont pu rétablir un minimum de confiance entre les partenaires. Le sommet arabe du Caire a montré les positions très disparates des chefs d’Etat et signifié à l'opinion publique arabe l'absence de toute alternative à une « paix » qui se fait aux conditions d'Israël, puisque ces Etats reconnaissent leur incapacité d'envisager l’option de la guerre. Cet aveu d’impuissance jette le discrédit sur les régimes et les met à la merci de soulèvements, en dépit de la répression dont ils sont capables. Le conflit israélo-palestinien fournit aux islamistes arabes l’occasion de redorer leur blason en soutenant une « cause noble » et de faire oublier leurs retentissants échecs dans les guerres civiles qu’ils ont engagées au cours de cette décennie.

Les sept Etats arabes qui ont patiemment noué des relations diplomatiques ou commerciales avec Israël sont les plus fragilisés. Les télévisions satellitaires arabes transmettent en direct les images de la nouvelle Intifada et les bombardements par les Cobra et les Merkava. Ces images enflamment la population qui se mobilise et qui prend pour cible les régimes arabes qui ont pactisé avec Israël. L’Etat hébreu a-t-il vraiment intérêt à mettre ces régimes en difficulté, au profit de formations islamistes qui le vouent aux gémonies ?

Les opinions publiques arabes semblent plébisciter un mode de combat qui a fait ses preuves face à l'Etat hébreu : le recours à la guérilla sur le modèle du Hezbollah libanais. En effet, dans le tableau de la défaite arabe, seul le Hezbollah a marqué des points face à Israël en forçant Tsahal à se retirer du Sud Liban, en mai dernier et en capturant quatre militaires israéliens, dont un colonel. Les drapeaux jaunes du parti chiite, ainsi que les portraits de son secrétaire général, Hassan Nasrallah, sont désormais brandis par les manifestants, pourtant sunnites, qui sillonnent les capitales arabes. Ce qui ne manquera pas d'alimenter l'idée selon laquelle seul le recours à la force est pris en compte par l'Etat hébreu. D'ailleurs, Israël n'a-t-il pas vu le jour et n'a-t-il pas connu son expansion grâce à la force ?

A tort ou à raison, l'opinion arabe croit que face à l'impuissance des Etats et à l'absence de parité militaire, seul le sacrifice des vies humaines peut compenser la suprématie d'Israël, dont la doctrine vise le « zéro mort ». De nombreuses fatwas bénissent ce djihad, transformant ainsi les kamikazes en martyrs qui rejoignent directement le paradis. Au cours du sommet du Caire, le vice-président irakien, Ezzat Ibrahim, représentant un « régime laïc », a appelé au djihad le considérant comme une obligation impérieuse à tout musulman (Fard Aïn), et non seulement comme une obligation facultative (Fard Kifaya). Cet appel n'a pas été retenu dans les résolutions.

L'autre forme de guerre qui fascine les musulmans est celle menée par le chef d'El Qaïda (la Base) créée en 1988, par Oussama Bin Laden, pour soutenir tous les peuples musulmans en conflit avec des « mécréants ». Le seul pays islamique figurant parmi ses cibles était le Yémen du Sud, alors dirigé par les communistes. Le chef des moudjahidin arabes en Afghanistan, est un adepte de l’authentique wahhabisme saoudien. Il a décrété le djihad contre Israël et les Etats-Unis qui le soutiennent, tout en bénéficiant d'un sanctuaire inexpugnable en Afghanistan.

Aujourd'hui, on prête à Bin Laden des attentats spectaculaires, tel ceux de Riyad (1995), de Khobar (1996), des ambassades américaines à Nairobi et à Dar Es-Salam (1998) et sans doute celui qui a visé le destroyer américain USS Cole dans le port d'Aden, le 12 octobre dernier. Ce n'est pas un hasard que le prénom le plus répandu donné aux nouveaux-nés dans certains pays du Golfe est désormais celui de Oussama !

Les attaques d'El Qaïda se sont concentrées pour le moment contre les intérêts américains. Mais dans la mesure où Bin Laden associe l'industrie pétrolière dans plusieurs pays du Golfe aux intérêts américains, rien n'empêche que ces infrastructures soient attaquées. Le conflit prendra alors une dimension internationale et provoquera sans doute une nouvelle flambée du prix du baril.

En outre, l’expérience du peuple palestinien - dont Israël a longtemps nié l’existence - plaide pour le recours à la force. Dès les années soixante, Arafat a entamé sa marche vers la Palestine depuis Amman et Beyrouth, provoquant d’énormes ravages sur son passage, avant d'atterrir en Palestine et de poursuivre sa juste revendication d'un Etat palestinien. L'Intifada de 1987, elle aussi, a montré que face à l'occupation, le recours à la force reste le principal moyen efficace d'expression.

On peut penser que les nombreuses victimes de la deuxième Intifada poussent les dirigeants israéliens et palestiniens à faire preuve d'un sursaut d'imagination et d'initiative et à refuser l'enlisement dans une guerre d'usure. Le temps où les uns rêvaient de « jeter les Juifs à la mer » et où les autres vouaient les Palestiniens à la disparition dans leur environnement régional, est bien révolu. Les deux peuples doivent apprendre à se respecter pour mieux partager l'espace géographique israélo-palestinien, conformément au concept de la conférence de Madrid : « les Territoires contre la paix ». Il est impensable qu'un peuple accepte d'être écrasé et colonisé par un autre alors que l'aire de la colonisation est révolue depuis plus de trente ans.

Pour arriver à partager l’espace, il convient de réduire la dimension religieuse du conflit. Car aucun des dirigeants juifs ou palestiniens ne pourrait assumer des concessions relatives aux lieux saints où se superposent les sites sacrés du judaïsme et de l'islam. C’est pourquoi, il serait judicieux de confier le triangle sacré de Jérusalem (Mur des Lamentations, Saint-Sépulcre et Esplanade des Mosquées) à une souveraineté internationale. En « neutralisant » le sacré et les prophètes, les autres problèmes paraîtront facilement solubles. Cela relèvera alors d'une décolonisation classique et d'une répartition intelligente de l'espace.

Les Palestiniens ont le sentiment d'avoir été floués par la multiplication des faits accomplis et l'accélération de la colonisation de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de Gaza, depuis les accords d'Oslo. En abandonnant l'obsession de la sécurité et en tenant compte de la dimension psychologique du conflit, Israël devra reconnaître aux Palestiniens leur droit à un Etat comme les autres, afin qu’ils puissent se regarder dans la glace sans avoir honte d'eux-mêmes.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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