30/09/2001 Texte

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La prudence est une arme



Sud Ouest Dimanche : Les mots de Berlusconi sur la supériorité supposée des valeurs occidentales sur l'islam auront-ils des conséquences ?

Antoine Basbous : Ils ajoutent un petit quelque chose à la tension actuelle – voyez la forte réaction de Ligue arabe – en mettant le doigt sur une fracture. C'est une provocation gratuite : pourquoi Berlusconi étale-t-il devant ses voisins méditerranéens son complexe de supériorité ? Si leur civilisation souffre de retards, les Musulmans sont les premiers à le remarquer et à en souffrir...

La prudence de Bush vous surprend-elle ?

Non. Les États-Unis avaient sous le coude des plans pour toutes les situations sauf ce coup au cœur de leur sanctuaire. Ils sont sonnés. Désigner Ben Laden – l'homme qui a lancé contre eux une « fatwa » – ne suffit pas, il faut trouver l'adresse d'un ennemi qui dispose de relais sûrs, notamment au Pakistan, où la société et une partie de la nomenklatura sont acquises aux idées islamistes. Bush sait qu'il doit bâtir des alliances et éviter de lancer un feu d'artifice, comme celui de Clinton en Afghanistan et au Soudan : il s'est avéré, en août 1998, qu’il avait fait bombarder une usine pharmaceutique à Khartoum. La CIA s'était laissé abuser par un agent égyptien et les États-Unis avaient dû indemniser les Soudanais.

Dans votre essai (1), vous évoquiez Ben Laden...

Oui, je vois dans l'attentat de 1993 contre le World Trade Center la naissance d'un nouveau terrorisme et j'annonçais que Ben Laden, ce « Guevara de l'islam », fils de la doctrine wahhabite saoudienne, serait bien plus dangereux que la secte Aoum.

Sur le terrain, on sent qu'une guerre qui ne dit pas son nom a commencé...

Oui, en Afghanistan, l'offensive est lancée pour éliminer Ben Laden. L'Alliance du nord, de feu Massoud, a été réactivée et le général ouzbek Dostom a repris du service pour harceler les Taliban.

Si ce régime tombe, Bush saura-t-il le remplacer ?

Il va devoir bâtir à Kaboul une coalition qui tienne la route pour satisfaire les acteurs régionaux qui pèsent sur ce pays. Peut-être en sortant de sa retraite romaine le vieux roi : il n'a plus beaucoup de relais en Afghanistan, mais il est pachtoun et neutre dans les guerres qui ravagent le pays depuis 1979. Autour de ce monarque mou, la coalition regrouperait Alliance du nord, amis du Pakistan et chiites proches de l'Iran. En tous cas, les Américains, pour une fois, ont pris les choses au sérieux. Coalition diplomatique, alliance militaire, renseignement, menaces bancaires : je pense que la réaction sera à la hauteur du défi car ils ont choisi de traiter le mal à la racine, notamment en asséchant les sources de financement.

Cela ne suppose-t-il pas un changement en Arabie saoudite ?

Si. Cela suppose la mise au pas des wahhabites qui enseignent la haine des Américains en tenant des ministères, le conseil constitutionnel, et en recevant 10 milliards de dollars par an pour gérer les Lieux saints, la propagande de la foi, des écoles coraniques, des radios, des institutions.

Les Saoudiens sont dans une situation impossible. Ils sont sous protection américaine mais la présence de soldats US chez eux depuis 1990 contredit un testament attribué au Prophète, et le prétexte de « force majeure » qu'ils invoquent n'est plus accepté par les religieux.

De son temps, Fayçal (1964-75) avait su, avec l'appui de sa femme d'origine turque, imposer aux wahhabites d'ouvrir des écoles de filles. Ils s'y étaient pliés à contrecœur, ce qui a permis de former des Saoudiennes à la médecine, au droit, à la banque. Le vieux roi avait aussi introduit la télévision...

Les Saoudiens doivent charger une nouvelle génération de princes de moderniser le pays, lui donner un ton plus libéral. Le roi et son héritier sont d'une autre génération, leur régime est trop touché par la corruption.

Les efforts diplomatiques de Bush ne vont-il pas permettre de résoudre enfin le conflit israélo-palestinien ?

En 1990, les Américains avaient promis aux Arabes de la coalition une solution du problème palestinien. La promesse n'a pas été tenue. Colin Powell l'a réitérée, mais les Arabes se sentent floués et, en Irak, un million de personnes sont mortes des suites de l'embargo américain. Leur scepticisme est facile à comprendre. Pourtant, le bon sens devrait l'emporter, et je suis convaincu que les Américains vont devoir réviser leur politique étrangère de fond en comble.

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(1) « L’Islamisme, une révolution avortée ? » (Hachette Littératures, 2000)

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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