21/10/2002 Texte

pays

<< RETOUR

Arabie, le pays où la Terre est plate

L'histoire de l'Arabie saoudite commence par une querelle de frères et une lapidation de femme adultère. On est au début du XVIIIe siècle, non loin de Riyad, dans la famille d'un ouléma rigoriste puisant aux sources de la plus radicale des quatre grandes écoles de l'islam sunnite. Le fils cadet, Mohammed Bin Abdelwahab, poursuit et approfondit la voie paternelle, au grand mépris de l'aîné, Suleiman, horrifié par l'arrogance et la violence de Mohammed dont la doctrine, consignée dans son livre, La Voie de l'unification, deviendra le socle du wahhabisme. L'aîné reproche au cadet non seulement son ignorance du Coran mais ses abus de pouvoir. Mohammed en effet a gagné de l'influence auprès d'un gouverneur et rêve d'instaurer un islam «originel», par les moyens les plus énergiques. Le voici grand réformateur, narguant le frère. De plus en plus soutenu et admiré, il restaure à l'encontre de la femme d'un émir local une loi anti-adultère tombée en désuétude et ordonne sa lapidation à mort.

Les oulémas alentour s'indignent de le voir usurper leurs droits et le font expulser. Ce n'est pas une bonne idée: il se réfugie chez l'émir Mohammed Bin Saoud et passe avec lui, en 1744, un pacte qui fondera jusqu'à aujourd'hui l'Arabie «saoudite» sur la double dynastie politique et religieuse des deux Mohammed, Saoud et Abdelwahab. Le sabre et le goupillon. Le prince utilise l'imam pour s'agrandir, l'imam utilise le prince pour «purifier» l'islam et triompher des interprétations concurrentes. Un manuel d'histoire scolaire précise encore maintenant que le mérite principal de Bin Abdelwahab est d'«avoir appuyé le débat et la persuasion religieuse sur une force militaire et politique». A sa mort en tout cas, en 1792, les Saoud ont considérablement augmenté leur domaine et le djihad en est devenu l'instrument théorique incontesté.

Contant cette histoire par un trait rapide et palpitant, le politiste Antoine Basbous commente, après la deuxième prise de La Mecque, en 1925, par un descendant des Saoud, le roi Abdelaziz: «Le souverain du pays le moins développé, le moins cultivé, du riche et complexe monde islamique, celui qui incarnait la conception la plus simpliste et sommaire de la religion, prenait avec son armée de Bédouins le contrôle des Lieux saints... Les conséquences allaient se révéler immenses.» On ne relit pas sans stupéfaction les grands épisodes historiques de ce royaume qui a servi de pilier stratégique occidental au Moyen-Orient tout en en représentant la contestation culturelle la plus radicale, jusqu'à aujourd'hui, avec un Ben Laden dont l'apparition, après cette lecture, n'étonne plus. C'est un royaume de 15 millions d'habitants où l'on professe encore officiellement dans les 35 000 mosquées que la Terre est plate, les femmes inférieures à l'homme, les juifs et les chrétiens des ennemis éternels dont il s'agit de tuer le plus grand nombre possible. Un pays austère, tout en interdictions et en punitions. A part ça, les princes se portent bien, le wahhabisme n'est pas pour eux, ils sont dispensés.

La fiction, cependant, est épuisée, dit Basbous. La révolte est trop forte à l'intérieur, islamiste contre l'Occident et laïque en même temps, contre les turpitudes et l'arrogance de la famille régnante. Les Américains ne peuvent plus compter avec assurance sur les Saoud, leur clergé est en voie de les lâcher. Washington se replie peu à peu sur le Qatar, s'apprête à prendre l'Irak en remplacement. Il existe des plans pour la division de l'Arabie saoudite: l'islam d'un côté, le pétrole de l'autre, en zone chiite. «Une barrière géologique Nord-Sud, située à quelque soixante kilomètres de Riyad, constituerait la nouvelle frontière entre le wahhabisme et le pétrodollar.» Kissinger y pensait déjà en son temps. Et le fait est que, pour la première fois, on a entendu de hauts dirigeants américains déplorer le non-respect des droits de l'homme en Arabie saoudite ! Ce n'est pas une révolution, mais déjà le signe d'un changement.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
twitter   |