16/03/2006 Texte

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Le Moyen-Orient en quête d'un nouvel ordre

Au lendemain de leur indépendance, les pays du Moyen-Orient ont instauré des régimes autoritaires à vocation dynastique et confisqué les libertés, empêchant ainsi l'émancipation sociale et politique de leurs peuples. Ces pays se sont accommodés de la guerre froide qui s'est achevée avec la défaite de l'URSS en Afghanistan essentiellement grâce aux sacrifices des moudjahidines.

L'Occident avait célébré son succès et négligé les nouveaux défis qui pointaient à l'horizon avec un islamisme belliqueux qui cherchait à défaire les États-Unis, l'autre puissance de la «mécréance». Le terrible rendez-vous du 11 septembre 2001 entraînera les représailles des États-Unis et une ingérence dans les pays islamiques, justifiée par la nécessité de réviser la culture qui a «armé» les kamikazes.

L'Afghanistan a été envahi pour chasser les talibans du pouvoir. Ils avaient donné un sanctuaire à la mouvance al-Qaïda d'Oussama ben Laden. Puis vint le tour de l'Irak, pourtant étranger aux attaques du 11 septembre 2001. Les stratèges de Washington voulaient y installer un régime démocratique qui serait un modèle pour les pays de la région et mettre en valeur les deuxièmes réserves mondiales de pétrole pour pouvoir se libérer de la contrainte énergétique saoudienne et demander des comptes à l'Arabie. La doctrine de ce pays avait armé les 19 kamikazes, dont 15 étaient Saoudiens.

Le spectre de la guerre civile irakienne


Trois ans après l'invasion de l'Irak, nous assistons impuissants à la catastrophe qui s'en empare: l'ébauche d'une guerre civile. L'éviction de Saddam Hussein était salutaire. Mais le peu de moyens humains, le déficit du savoir-faire dans la gestion de l'après-Saddam ainsi que l'absence prolongée d'une culture de tolérance et d'un État de droit ont entraîné les Irakiens dans une crispation communautariste qui a préparé le lit de la guerre civile, prélude à la décomposition du pays.

Pour sauver l'Irak et y installer un régime démocratique, il ne suffisait pas d'évincer Saddam Hussein. Il fallait envoyer 600 000 soldats pour 25 ans. Faute de quoi, et en l'absence d'une culture de tolérance, l'effondrement des dictatures entraîne toujours l'éclatement des pays hétérogènes qu'elles «pacifiaient» par la répression. L'URSS et la Yougoslavie en témoignent.

La guerre civile en Irak aura de graves retombées sur les pays de la région, qui accentueront leur ingérence. Ben Laden et son ambassadeur en Irak, Abou Moussab al-Zarqaoui, portent une responsabilité colossale dans l'aggravation de la haine entre sunnites et chiites. En effet, Zarqaoui est nourri par la doctrine wahhabite saoudienne, qui considère les chiites comme des «hérétiques» à convertir ou à abattre. La «boucherie humaine» qui se profile en Irak constituera une régression d'envergure pour la région. Elle créera les conditions d'un grave conflit entre sunnites et chiites. D'où la vulnérabilité de l'axe chiite récemment constitué, qui s'étend de Téhéran à Beyrouth en passant par Bagdad et Damas, avec son nouveau prolongement palestinien depuis la victoire du Hamas.

L'Iran, la Syrie et le Golfe...


Le désordre du Moyen-Orient, dans l'après-11 septembre 2001, a radicalisé un peu plus le régime iranien et renforcé ses prétentions nucléaires. Téhéran estime que l'environnement politique et économique international lui est favorable: Washington est enlisé en Irak et en Afghanistan et manque terriblement de fantassins; le prix du baril de pétrole est tellement élevé que l'économie mondiale ne supportera pas un nouveau choc pétrolier provoqué par un conflit supplémentaire.

La nouvelle donne régionale a également secoué le Liban et la Syrie. L'assassinat de l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri a entraîné la fin de l'occupation syrienne. Le régime de Damas souffre d'un grand déficit de légitimité, d'une usure du pouvoir, de dissidences politiques, de graves défaillances économiques...

Mais c'est un régime «rustique», habitué à naviguer en eaux troubles. Il a la nostalgie de son occupation du Liban et conserve de grands atouts à Beyrouth: l'armée parallèle du Hezbollah et la fidélité du président Lahoud, qui doit à Damas la prorogation de son mandat.

Les régimes libanais et syrien sont très vulnérables. L'enquête internationale sur l'assassinat de Hariri peut les affaiblir davantage. Damas tente de faire chuter le gouvernement libanais pour ressusciter le régime inféodé de Lahoud. A contrario, si le pouvoir minoritaire de Damas tombait, il permettrait alors le retour progressif du Liban à la souveraineté et à un État de droit.

Dans le golfe Persique, les inquiétudes sont loin d'être dissipées. Le Yémen souffre d'un très grand déficit de l'État et de l'usure d'un président qui s'accroche à son siège depuis 28 ans. Le mois dernier, 23 dirigeants d'al-Qaïda se sont évadés de leur prison, sans doute avec la complicité d'une partie de l'appareil sécuritaire qui parraine les islamistes.
L'Arabie est loin d'en finir avec le terrorisme islamiste qu'elle a engendré, financé et exporté. Si elle a amélioré sa quête du renseignement, la compétence de ses forces de sécurité n'a pas encore atteint un niveau satisfaisant.

Le roi Abdallah a réuni en décembre 2005 un sommet de la Conférence islamique pour mettre un peu d'eau dans le vin du wahhabisme. Il veut désamorcer en douceur cette doctrine belliqueuse qui n'a pas cessé de frapper l'Arabie depuis le 12 mai 2003. Mais on ne désamorce pas du jour au lendemain une doctrine de la haine dont les racines sont vieilles de neuf générations.

La longue marche vers la démocratie


L'impérieuse démocratisation du Moyen-Orient a connu de grands ratés. En Irak, elle a débouché sur les crispations religieuses et porté au pouvoir des islamistes radicaux, tant chiites que sunnites. En Palestine, elle a profité au Hamas après l'usure du Fatah d'Arafat, qui a régné sur la cause palestinienne pendant plus de 40 ans.

Et sans falsification massive des urnes, l'Égypte serait aujourd'hui entre les mains des Frères musulmans.

De l'Algérie en 1991 à la Palestine en 2006, le constat est le même. Chaque fois que les populations ont eu l'occasion de s'exprimer, elles ont choisi la rupture en élisant une majorité islamiste. Un totalitarisme d'ordre religieux se substitue à un totalitarisme séculier. C'est que, pendant des décennies, les régimes autoritaires ont refusé l'existence d'une société civile mais n'ont pas pu supprimer les mosquées. De ce fait, toute alternance profite à la structure rescapée de l'aire totalitaire.

En fait, promouvoir la démocratie sans créer les conditions de l'instauration d'un vrai multipartisme, d'un État de droit et d'une presse libre revient à donner une prime à ceux qui brandissent comme slogan «l'islam, c'est la solution».

La dépression dans laquelle plonge l'ordre moyen-oriental agonisant annonce des lendemains rouges de sang et noirs de perspectives. Les convulsions en cours, de la Palestine à l'Iran en passant par l'Irak, vont sans doute nous causer de gros soucis pendant une génération.

Cet environnement dégradé n'apporte rien de bon aux Palestiniens. Les soutiens traditionnels arabes et islamiques de leur cause vont être «dévalués» et dilués du fait de la guerre qui s'annonce entre sunnites et chiites et des retombées des crises irakienne et iranienne.

Depuis le 11 septembre 2001, cette cause a perdu la sympathie des Occidentaux en raison de la multiplication des attaques kamikazes palestiniennes contre des civils. Mais le Quartet (États-Unis, Union européenne, ONU et Russie) devrait imposer une solution honorable pour les deux parties et refuser que la Feuille de route soit victime du rapport de force, favorable à Israël, et rejoigne le cimetière des précédentes résolutions restées lettre morte. Mais avant de connaître la stabilité, le Moyen-Orient subira de longues et terribles convulsions.

L'auteur est conférencier au colloque «Quel avenir pour le Moyen-Orient? Entre démocratie et instabilité» organisé par la chaire Raoul-Dandurand de l'Université du Québec à Montréal, qui a lieu aujourd'hui (www.dandurand.uqam.ca).

Antoine Basbous : Directeur de l'Observatoire des pays arabes à Paris et auteur de L'Arabie Saoudite en guerre (Éditions Perrin, 2004)*

Catégorie : Éditorial et opinions
Sujet(s) uniforme(s) : Industries pétrolières et pétrochimiques
Type(s) d'article : Opinion
Taille : Long, 931 mots

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OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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