26/11/2002 Texte

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"L'heure de vérité pour les Saoud"

Nouvelle tension entre Washington et Ryad Pour Antoine Basbous, les dirigeants saoudiens sont écartelés entre les wahhabites et les Etats-Unis

QUESTION : Les dirigeants saoudiens sont-ils complices ou otages du wahhabisme, ce mouvement très conservateur de l'islam sunnite ?

REPONSE : Ils sont aujourd'hui otages de deux puissances, le partenaire historique que sont les wahhabites depuis 1744, et le pilier américain, depuis 1945, qui a accompagné le duo saoudo-wahhabite tout au long de la guerre froide. Aujourd'hui que ces deux partenaires des Saoud se disputent, eh bien, la dynastie trouve sa marge de manœuvre extrêmement rétrécie. C'est pourquoi elle est obligée de tenir compte de sa société en ménageant les wahhabites et de son protecteur international qui est tout rouge de colère. Ce trépied s'effondre le 11 septembre même si le divorce n'est pas encore officialisé.

Les dirigeants saoudiens seront-ils fidèles au wahhabisme ou au partenaire américain ?

C'est l'heure de vérité que tout Saoud doit redouter parce que l'un et l'autre sont indispensables pour la survie de leur règne et de leur régime. Les dirigeants saoudiens (NdlR: les fils du roi Abdelaziz bin Saoud, fondateur de la dynastie) se retrouvent aujourd'hui isolés derrière les hautes murailles de leur palais parce qu'ils ont trop longtemps délégué la gestion de la société aux wahhabites et que, eux, ont profité de la richesse des pétrodollars pour mieux vivre alors que leur père est toujours resté proche de la société. Lui a été capable de maintenir son espace géographique et de réprimer les ikhwane, les ancêtres des wahhabites, quand ils lui ont créé des problèmes avec le partenaire dominant de l'époque, la Grande-Bretagne. Jamais auparavant, les wahhabites n'ont été aussi audacieux dans la critique des Saoud, qu'ils somment d'ailleurs à la télévision de prendre position contre les Américains. Si ces oulémas avaient prononcé de tels discours avant le 11 septembre 2001, ils seraient tout de suite passés des plateaux de télévision aux sous-sols d'une prison où on les aurait oubliés pendant des années. Aujourd'hui, ils peuvent être extrêmement critiques sans risquer autre chose que de se voir confisquer leur passeport parce que les Saoud n'osent plus les affronter parce qu'ils tiennent davantage la société qu'eux-mêmes. Les Saoud ont peur de verser dans un conflit qui leur rappellerait celui du Shah en Iran.

Le prince héritier Abdallah est présenté comme moins pro-américain que le roi Fahd. Est-ce l'homme qui pourrait donner des gages aux wahhabites ?

Ce "classement" n'a pas beaucoup de sens. Aujourd'hui, on est surpris de voir que le prince Sultan, le ministre de la Défense, dont le fils est ambassadeur à Washington et dont toute la carrière sans interruption depuis 40 ans a été marquée par l'amitié presque inconditionnelle des Etats-Unis, critique les propositions américaines et apparaît beaucoup plus éloigné de la ligne des Etats-Unis que le prince héritier Abdallah qui, lui, comme responsable, doit conjuguer à la fois les exigences de la politique américaine et celles de la paix civile à l'intérieur. Aujourd'hui, le prince Abdallah est pragmatique.

Le déclin du wahhabisme vous apparaît-il tout à fait exclu ?

Le wahhabisme est bien ancré dans la société, le pouvoir, l'administration. De la naissance à la mort, on est pris en main par les wahhabites. On est surveillé sur la manière de se comporter par les wahhabites. Ils marquent de leur empreinte la vie de tous les hommes, de toutes les femmes. Il n'est donc pas facile d'affaiblir le wahhabisme par décret. D'ailleurs, le gouvernement saoudien a été incapable de satisfaire la demande américaine sur le changement des programmes scolaires qui enseignent, de la primaire à la dernière année de la faculté, la haine du chiite, du musulman non wahhabite, du chrétien et du juif. Les wahhabites ne font qu'apprendre la haine et l'exporter à travers leurs facultés, les bourses d'études, les livres, les cassettes puisqu'ils ont des capacités financières extrêmement importantes. Bref, vous avez dans le monde musulman aujourd'hui une mainmise du wahhabisme et des mouvements islamistes qui en sont issus sur la pensée islamique. A Casablanca, par exemple, les wahhabites contrôlent 70% des mosquées alors que le pays est totalement voué à être de l'école malékite et très imprégné par l'école soufie.

Comment expliquer que les Etats-Unis aient toléré cela ?

Parce que le wahhabisme a été un allié privilégié des Etats-Unis tout au long de la guerre froide et que, à l'ère de l'Union soviétique, cet islamisme-là faisait barrage dans les pays arabes et islamiques à l'entrisme communiste... Rappelez-vous l'Afghanistan. Le combat contre l'Armée rouge s'est fait par islamistes interposés sans qu'il y ait une seule goutte de sang américaine versée. Les Américains ont été totalement aveugles. Ils ont instrumentalisé cette mouvance en s'alliant à elle avant de découvrir qu'ils en ont également été victimes le 11 septembre.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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