10/05/2007 Texte

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L'Arabie saoudite, entre le marteau chiite iranien et l'enclume d'Al-Qaida

L' Arabie saoudite se retrouve dans une situation très inconfortable, placée entre le marteau chiite iranien et l'enclume d'Al-Qaida qui s'est emparée du wahhabisme authentique et a créé son nouveau sanctuaire dans la province d'Al-Anbar, à l'ouest de l'Irak, malgré les récents combats qui l'opposent aux tribus sunnites.

Cette base arrière de Ben Laden au cœur du monde islamique et aux portes du pays des deux Saintes Mosquées dispose de prolongements en Arabie, dont le dernier épisode a été l'arrestation, fin avril, de 172 kamikazes et terroristes, qui préparaient, selon les dires du Ministère saoudien de l'intérieur, «un 11 septembre saoudien», avec pour objectif de détruire notamment ce qu'ils avaient raté en février 2006, le plus grand site pétrolier du monde à Béguigue. Lors de son discours d'ouverture du sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG), en décembre 2006, le roi Abdallah avait clairement indiqué que le Golfe vivait sur «une poudrière qui attend la première étincelle pour s'embraser».

Le monde est donc en présence de deux Arabies: celle qui fait très envie, et celle qui inspire la prudence. La première dissimule souvent la seconde par son potentiel économique, et par l'attractivité de ses capacités financières et des gigantesques projets d'infrastructures. Les entrepreneurs du monde entier pâlissent d'envie devant le royaume de l'abondance du pétrodollar, qui détient le rang de premier producteur de pétrole et des premières réserves du monde.

Mais la deuxième Arabie inspire la peur, car elle est située au cœur d'intenses conflits: qu'il s'agisse de l'Irak, de l'Iran et même de la métastase d'Al-Qaida à l'échelle de la Péninsule. De ce fait, le triangle Irak-Iran-Arabie reste l'épicentre des crises d'aujourd'hui et de demain.

L'autorité du roi Abdallah, qui bénéficie d'un grand crédit à l'international, souffre d'une discrète mais réelle contestation au sein de la dynastie. Après vingt mois de règne, il a été contraint de maintenir les équilibres hérités de son demi-frère, le roi Fahd, en reconduisant le même gouvernement. Ce qui atteste manifestement d'une incapacité à réformer et d'un immobilisme politique.

La première source d'inquiétude régionale est l'offensive iranienne, qui s'étend de la Caspienne à la Méditerranée. Téhéran a satellisé le nouveau pouvoir dans l'Irak post-Saddam Hussein; le régime alaouite minoritaire de Syrie se range instinctivement aux côtés de son partenaire iranien, renforçant ainsi «l'alliance des exclus». Grâce au Hezbollah libanais et au Hamas palestinien à Gaza (pourtant sunnite), l'Iran s'accorde une influence en Méditerranée, et dispose de forces structurées aux portes d'Israël. Cette offensive iranienne à l'échelle régionale est doublée par un programme nucléaire ambitieux.

Cet Iran a aussi des relais chiites dans l'ensemble des pays du Golfe et notamment dans le Hassa, sur la très pétrolifère côte est de l'Arabie. S'ils demeurent prudents, ils sont néanmoins à l'écoute du grand frère iranien et prêts à contester leur statut de citoyens de seconde zone, et à réveiller les souffrances subies depuis l'émergence du wahhabisme au XVIIIe siècle. Bahreïn connaît des troubles épisodiques qui rappellent que la majorité chiite ne se reconnaît pas dans le pouvoir sunnite accusé de naturaliser des sunnites étrangers pour colmater le déséquilibre démographique. Sans oublier les autres minorités chiites dans le Golfe... La rébellion des Houci, dans le Nord-Yémen, se poursuit depuis plus de trois ans et a fait plus de mille morts et quinze mille blessés. Sanaa accuse Téhéran de soutenir les Houcistes.

Face à l'offensive iranienne qui a satellisé le gouvernement irakien et infiltré les ministères sensibles, l'Arabie a réagi en participant à la constitution de l'axe sunnite destiné à contenir cette offensive, aux côtés des six monarchies du CCG, de la Jordanie et de l'Egypte. Cet axe est soutenu par les Etats-Unis et a conclu une entente implicite avec Israël.

Une réunion entre responsables saoudiens et israéliens de très haut niveau serait intervenue à Amman, en septembre 2006, et aurait ouvert la voie à cette entente mal assumée du côté arabe. La relance de l'initiative arabe de paix (2002), lors du dernier sommet de Riyad (mars 2007), atteste de la volonté de l'Arabie de reprendre l'initiative pour constituer un axe sunnite et pour contrer l'offensive iranienne. Depuis, la diplomatie saoudienne s'est illustrée dans les crises palestinienne, soudano-tchadienne et celle du Darfour.

L'autre préoccupation majeure de Riyad est la poudrière irakienne et sa guerre civile alimentée par la haineuse doctrine du Takfir qui mobilise les radicaux sunnites et chiites. Car les conséquences de ce conflit et la découverte, chaque jour, d'une cinquantaine de corps flottant sur le Tigre et l'Euphrate, gisant dans les ruelles de Bagdad ou dans les vergers sont gravissimes pour le royaume.

La capitale des Abbassides connaît l'édification – après le Mur de Sharon pour séparer Israéliens et Palestiniens – du deuxième Mur du XXIe siècle, destiné à séparer des musulmans entre eux, que les muftis takfiristes incitent à s'égorger mutuellement, tout en clamant haut et fort que la faute revient aux Américains. La décomposition de l'Irak paraît irréversible.

Les bases d'Al-Qaida en Irak attirent des milliers de Saoudiens qui viennent jouer les kamikazes anti-chiites et parfois anti-américains. Avec un réel risque de revenir dans leur pays et de répandre cette doctrine, déjà très présente au stade idéologique, en donnant l'impulsion pour passer à l'action. De ce fait, les Saoudiens soutiennent ouvertement les tribus sunnites irakiennes afin de faire face tout autant à Al-Qaida qu'au gouvernement du chiite Maliki. Ce dernier a subi plusieurs camouflets de la part de Riyad qui a refusé de le recevoir.

L'agitation de la mouvance wahhabite authentique en Arabie constitue une sérieuse menace pour la monarchie, malgré les investissements sécuritaires colossaux consacrés à la lutte antiterroriste. Depuis neuf générations, la société est majoritairement acquise à la cause wahhabite avec la complicité des Saoud. Les libéraux peinent à s'exprimer, car ils sont doublement combattus par les muftis les plus radicaux, tout comme par le ministre de l'Intérieur et son appareil répressif. Les libéraux, qui ont appelé à l'instauration graduelle d'une monarchie constitutionnelle, sont systématiquement maltraités par les octogénaires au pouvoir, incapables d'envisager la moindre réforme.

L'échec américain en Irak et la perspective du retrait de ses troupes ont poussé Riyad à effectuer des ouvertures sur la Russie et la Chine afin de trouver d'autres piliers pour la stabilité régionale, et pour compenser la puissance américaine, peu appréciée de l'opinion publique islamique. A cet effet, il y a eu des échanges de visites au sommet entre le roi d'Arabie, les dirigeants chinois et le président russe. Ce dernier s'est rendu à Riyad en février 2007. L'Arabie et la Russie ont entamé une coopération, notamment pour le lancement de six satellites saoudiens. Grâce à cette ouverture, Moscou et Pékin doivent désormais mesurer leur appui à Téhéran.

L'âge du roi, celui de son prince héritier, et de ses principaux frères et ministres, ainsi que l'usure de son gouvernement, ne plaident pas pour une dynamique réformiste, dont le pays a grand besoin. La crise boursière que connaissent les places du Golfe, et l'Arabie en particulier, nuit énormément à l'image du souverain, bien qu'il reste aimé et apprécié. Les Saoudiens, dans l'ensemble, restent sur leur faim: leurs attentes en matière d'économie, d'Etat de droit et de libertés politiques sont loin d'être satisfaites. D'où le paradoxe saoudien: malgré des finances éblouissantes, et un potentiel très prometteur, le pays fait face à des menaces qui proviennent du radicalisme chiite iranien et sunnite d'Al-Qaida, de ses propres wahhabites authentiques, ainsi que de ses défaillances en matière de gouvernance.

Antoine Basbous est l'auteur de «L'Arabie saoudite en guerre», Ed. Perrin, 2004.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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