10/04/2003 Texte

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Et demain, la Syrie ? L'Arabie saoudite ?

Bagdad semble n'être qu'une étape sur la route de Riyad,

- La victoire sur Saddam Hussein est acquise. Quelles en seront les conséquences sur le monde arabe ?

- Avec la prise de Bagdad, c'est la capitale, pendant cinq siècles, de l'empire abbasside qui est occupée par des troupes étrangères. Les Arabes se sentent bafoués dans leur honneur, honteux d'avoir montré leurs faiblesses structurelles, ce qui ne manquera pas de créer une onde de choc. Dans quel sens ? Elle peut les amener soit à se révolter contre le fait accompli, soit à s'interroger. Il peut en résulter ou une recrudescence du terrorisme, si Oussama ben Laden a encore des moyens de nuisance, ou bien un réveil des forces libérales, une sorte d'examen de conscience. C'est une démarche que bien des intellectuels ont faite depuis une dizaine d'années. Après la faillite du nationalisme, la faillite de l'islamisme, il leur paraît temps de passer à autre chose.

- Croyez-vous à un remodelage du Moyen-Orient ?

- Le chantier commencé en Irak ne va pas s'arrêter en si bon chemin, parce que le 11 septembre est passé par là et que les Américains se sentent légitimes dans cette approche de prendre le mal à la racine. En abattant le régime de Saddam Hussein, ils ont montré qu'ils étaient capables de mettre des hommes, des vies et de l'argent pour se faire respecter. C'est une nouvelle donne.

- Quel est le prochain objectif : la Syrie ?

- La Syrie a infligé à l'Amérique en 1983 la mort de plus de 300 diplomates et militaires au Liban, dans deux opérations, l'une qui s'est passée en avril contre l'ambassade des Etats-Unis à Beyrouth (64 tués), l'autre en octobre contre le QG de l'aéroport (249 tués). Comme les dirigeants et les officiers syriens qui ont coordonné ces attentats sont toujours en exercice, l'Amérique peut demander des comptes. La Syrie, aujourd'hui, est déstabilisée : avec Saddam Hussein, outre un marché noir florissant, elle partageait les dividendes du programme "pétrole contre nourriture". Damas était devenu, après Amman, le poumon de l'Irak. La Syrie est également privée de la rente libanaise parce que le Liban est en faillite. Sur qui compter ? Les pays du Golfe sont eux-mêmes endettés.

- Il y a aussi l'Arabie saoudite...

- Oui. Quinze des dix-neuf kamikazes de New York et Washington étaient saoudiens. Ben Laden n'a fait qu'appliquer la doctrine wahhabite authentique, il a agi en fonction de cette doctrine, financé par l'argent du pétrole saoudien. Quand l'Irak retrouvera sa part sur le marché pétrolier, qui va devoir réduire la sienne ? L'Arabie. Pour la reconstruction de l'Irak, il faudra pomper plus. Ce sera au détriment de qui ? De l'Arabie. Quand il y aura moins d'argent dans les caisses de l'Arabie, il y aura moins d'argent sur les comptes islamistes. Et si besoin était, je ne sui pas sûr que les Etats-Unis verraient d'un mauvais oeil la fin du régime saoudien actuel.

- Comment ? L'Arabie, c'est la Mecque et Médine, lieux saints de l'Islam !

- Cela pourrait se faire graduellement. Les Américains ont exigé plusieurs choses des Saoudiens, d'abord sur la doctrine : dans les programmes scolaires du Royaume, la haine du juif, du chiite et du chrétien est toujours enseignée. Oussama ben Laden a appliqué ce qu'il avait appris à l'école... Deuxièmement : le financement de l'islamisme. Si rien ne bouge, les Etats-Unis, par exemple, pourraient aider les chiites de l'est de l'Arabie à prendre leur autonomie et à contrôler le pétrole qui est dans leur zone. Pour les lieux saints, les Saoud les avaient enlevés aux Hachémites en 1924. Ces derniers pourraient se révéler nostalgiques !

"La démocratie ne se décrète pas"

- Pour l'après-Saddam, quel scénario ?

- J'ai du mal à penser que les Américains déçus par l'ONU vont lui confier le bébé, d'autant plus que l'Irak n'est qu'une étape dans le programme. Mais l'après-succès militaire ne sera pas facile à gérer pour eux surtout que Saddam Hussein, après trente ans de terreur, ne laisse derrière lui, ni parti, à part le Baas, le prédateur, ni société civile : toutes les têtes qui dépassaient y compris dans son propre camp ont été coupées. Pour que une nouvelle société civile émerge, qu'elle s'exprime, que des partis, des syndicats se mettent en place, qu'une presse libre naisse, il faudra du temps.

- La crainte d'une partition, Kurdes au nord, chiites au sud, sunnites au milieu, vous paraît-elle justifiée ?

- Si les Américains en arrivent là, ils auront perdu leur pari. Ils n'auraient pas tenu leur promesse d'une fédération.

- N'est-il pas idéaliste de vouloir la démocratie là où elle n'a jamais existé ?

- La démocratie ne se décrète pas au Journal Officiel ni à Washington, ni à Bagdad. Elle a besoin de démocrates pour vivre et prospérer. Vu l'étendue du chantier, les Américains vont devoir rester, longtemps. Il faudra couver cette démocratie, l'accompagner.

- Croyez-vous à la théorie des dominos, à la contagion de la démocratie pour le Moyen-Orient ?

- La chute de Saddam, d'ores et déjà, inquiète les dictateurs voisins, qui ont des choses à se reprocher. Il y aura rapidement des retombées à ce séisme, à cause de la fragilité de leurs régimes et de l'immensité des frustrations de leurs populations. L'ordre arabe, issu de la décolonisation, est mort même si le faire-part n'a pas encore été affiché.

OBSERVATOIRE DES PAYS ARABES
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